Sunday, April 05, 2009

Robert Anton Wilson - Religions for the hell of it

Á s’en damner
Avez-vous déjà envisagé que Dieu pourrait être une femme démente ? Ou que John Dillinger soit mort pour vous ? Pensez-vous que les Illuminés possèdent une méthode secrète pour substituer l’Etant au Néant ? Que les Martiens connaissent la vraie religion pendant que les Terriens se perdent dans les ténèbres de la superstition ? Une tasse de café peut-elle être un sacrement et, dans la négative, pourquoi pas ? Les mathématiques sexadimensionnelles et la philosophie du solipsisme panthéiste à ego multiples suffisent-elles pour expliquer l’univers ? Si aucun de ces problèmes métaphysiques ne vous a auparavant traversé l’esprit, c’est parce que comme chacun sait, c’est l’Irlande qui a adopté la seule vraie religion ; en Amérique, où existaient avant la Révolution une douzaine de « vraies » religions, la liberté religieuse a été inscrite dans la constitution et à présent il existe véritablement une centaine de vraies religions, toute doctrine possible et imaginable ayant été expérimentée, y compris chacune des alternatives énumérées ci-dessus. Face à cette exubérance typiquement américaine, il ne fait aucun doute que ce pays va dans un futur proche explorer aussi bien l’impossible que l’impensable puisque désormais, la liberté de culte a été complètement intégrée dans sa politique.
Naturellement, même dans un pays comme les États-Unis, cette liberté de culte absolue ne l’est que d’une façon relative. Il y a déjà eu quelques « cas difficiles » au XIXe siècle ; ainsi, l’Eglise de Jésus Christ des Saints modernes ou Mormons a fortement ébranlé cet acquis de la constitution par leur pratique de la polygamie. Le gouvernement décida que c’était une Liberté Religieuse Excessive, et fit appel à l’armée pour arrêter l’ensemble des Mormons, dont la communauté résidait alors à Salt Lake City. De fait, cette pratique était anticonstitutionnelle et se serait sans aucun doute heurtée aux arrêts de la cour suprême, si le leader des Mormons, Brigham Young, après avoir considéré toutes ces baïonnettes et ces armes à feu, n’avait eu une révélation bien pratique : l’ange Moroni, ou peut-être Dieu (car les Mormons avaient accès aux deux) dit à Young que si la polygamie s’était avérée une nécessité lorsque les Saints Modernes construisaient leur communauté, elle ne l’était plus désormais. Une confrontation entre le religieux et le politique put ainsi être évitée.
Dans le même genre, un autre « cas difficile » s’est posé au début du siècle concernant l’Eglise des Indiens Natifs Américains (E.N.A), réservée aux Indiens Peaux-Rouge, ou comme ils se nomment eux-mêmes, les « Natifs Américains ». L’Eglise des Natifs Américains utilise de façon rituelle un cactus aux propriétés psychédéliques, le peyotl. Le gouvernement traîna ces drogués fanatiques devant les tribunaux, mais la Cour Suprême les autorisa à continuer à pratiquer leurs rites religieux — Cette décision a depuis lors été modifiée par les différentes juridictions d’État, suite à un afflux au sein de l’Eglise des Natifs Américains de personnes dont l’origine indienne était pour le moins douteuse. Désormais, pour éviter des problèmes judiciaires, les membres des Eglises Natives Américaines doivent attester qu’au moins un quart de leurs membres est d’origine indienne.
Un autre cas difficile, ou plutôt une multiplication de cas difficiles : les Témoins de Jéhovah qui refusent de servir les forces armées, le salut au drapeau et les transfusions sanguines, pour eux-mêmes comme pour leurs enfants. La Cour Suprême les autorisa à s’abstenir de service militaire ou d’enrôlement civil, mais statua d’abord en faveur du maintien du salut au drapeau, avant de revenir plus tard sur cette décision. La question des transfusions sanguines est toujours à l’origine de conflits dans les juridictions d’état : Le droit pour un hôpital d’état d’intervenir lorsque la vie d’un enfant est clairement en danger, a été maintenu, et ce, même si l’acte va à l’encontre de la religion des parents et, par conséquent, s’arrange quelque peu de la Constitution.
Conclusion : la liberté religieuse aux États-Unis n’est que relativement absolue. Assez cependant pour que chaque secte ou religion bénéficie à égalité de l’attention d’une Cour Suprême que Oliver Wender Holmes a qualifiée de « marché libre américain des idées ».
Il reste cependant une variable permettant de juguler cette anarchie métaphysique : La tendance des juridictions à considérer comme bidon tout groupe religieux dirigé par une personne n’ayant pas, à un moment donné de son parcours, été ordonnée par une académie théologique plus reconnue et plus ancienne. Ce problème émergea lorsqu’on importa une main-d’œuvre orientale peu coûteuse, suivie par des restaurateurs orientaux pas-si-bon-marché, et finalement, par leurs leaders religieux des plus cheaps au plus précieux. Les grandes religions d’Orient, telles que le bouddhisme, l’hindouisme, ou le taoïsme ne sont ni centralisées, ni hiérarchisées. Il suffit d’être considéré comme un chef par un groupe de disciples pour en devenir réellement un. Les tribunaux ont été progressivement contraints d’accepter cette réalité, du moins lorsqu’il s’agissait d’Orientaux. Les seules actions en justice menées à l’encontre des gourous, même des plus controversés, ont consisté en l’incarcération du révérend Sun Myung Moon pour extorsion de fonds et l’arrestation récente de Bhagwan Rajneesh pour entorse aux lois d’immigration. Et puisque la majeure partie de la population américaine considère ces deux hommes saints comme infects et odieux et que la confrontation théologique a soigneusement été évitée, cela nous montre que : Soit cette liberté religieuse absolue relative est toujours de mise, soit (et c’est ce qu’affirment les distingués disciples du Révérend) les cours de justice ont une façon tout à fait sournoise de traiter les cas d’hérésies.

Youpi ! Libres ordinations pour tout un chacun !
Entre temps, un autre pas a pu être franchi, d’une liberté absolue relative vers une liberté réellement absolue, grâce au Révérend Kirby Hensley, un bonhomme espiègle qui a obtenu une ordination d’un séminaire à distance tout à fait légal, bien que peu recommandable. Pour vous donner une idée de sa personnalité, tous ses interlocuteurs ont pu entendre de sa bouche qu’étant illettré, c’était grâce à sa fille, qui lui avait lu les questions et retranscrit ses réponses, qu’il avait pu remplir les conditions d’examen des épreuves théologiques. En insistant sur sa propre ignorance, sur le plan théologique comme dans la plupart des autres domaines, le révérend Hensley affirme que chaque homme, chaque femme et chaque enfant a le libre droit d’être ordonné en tant que membre d’un clergé.
Il est, à cette fin, le fondateur d’une association, pour ainsi dire désintéressée, l’Église de la Vie Universelle, qui gratuitement et sans aucune sélection, initie n’importe qui. Et, pour être en mesure dans ce monde cruel de joindre les deux bouts, il y a ajouté une clause : un peu plus de 20 dollars vous garantissent le grade de Docteur es Divinité de l’Église de la Vie Universelle. Ce diplôme est assez joli ; il les vaut certainement, les vingt dollars : encadré comme il le faut et suspendu au mur, il impressionnera à coup sûr les voisins, à moins bien sûr qu’ils n’aient déjà entendu parler de l’ULC (Universal Life Church, NdT).
Lorsque des journalistes ont révélé que des plaisantins avaient pu obtenir des ordinations pour leurs chiens, leurs chats, et même des animaux plus colorés tels que des perroquets ou des chimpanzés, le révérend Hensley n’a pas été gêné le moins du monde. Le commentaire qu’il fit en guise de réponse fut que chaque créature conçue par Dieu est un être sacré, et il alla même jusqu’à ordonner Madalyn Murray O’ Hair, une des athées les plus véhémentes et les plus controversées de tous les États-Unis.
Quelle validité accorder aux ordinations de l’ULC ? Il se trouve qu’aux États-Unis, tous les états reconnaissent les mariages célébrés par le clergé de l’ULC, et de nombreux « gradés » de l’ULC sont partis pour créer leurs propres sectes ou églises. En raison du grand respect que porte la loi américaine à la liberté religieuse, un pasteur de l’ULC a autant de légitimité que tout autre pasteur, rabbin, prêtre, ou gourou. Le risque réside dans la clause d’exemption fiscale. De jure, les cours de justice n’ont pas encore légiféré sur ce problème ; de facto, le FISC ne s’intéresse qu’aux cas où les circonstances laissent supposer que l’ordination n’a été qu’une combine pour esquiver les impôts. C’est arrivé il y a quelques années lorsque, dans une région de l’état de New York, la totalité des propriétaires fermiers s’est vue ordonnée en masse (1). Les agents du fisc ont considéré cela comme une escroquerie flagrante et un exemple à ne pas suivre ! Ils ont directement ponctionné les comptes en banque des individus concernés. Les membres du clergé de l’ULC, impliqués de façon avérée dans la promotion d’une religion quelle qu’elle soit, sont soumis à la même exemption de taxes que les officiels d’églises moins excentriques.
Le révérend Hensley dit à qui veut l’entendre qu’il souhaite que son gouvernement tente de le soumettre à l’impôt. Il s’est essayé à un procès en appel pour discrimination et exige que le gouvernement, soit décide de taxer les autres instances religieuses, soit laisse tranquille ses ouailles y compris les fermiers de l’État de New York. Voilà au moins quinze ans qu’il répète cela, mais il demeure le seul que le bureau des impôts laisse en paix. On se souviendra de lui, selon moi, comme celui qui a ouvert les vannes et qui a fait passer la liberté religieuse du stade de relativement absolue, à celui d’absolument absolue...

La rencontre de Ronald Reagan et de Mahatma Gandhi
Les Druides Réformés Nord-Américains (RDNA) sont apparus en 1957, dans un institut universitaire de moyenne ampleur ; l’initiative au début n’était guère sérieuse. Ceux qui l’ont eue étaient des étudiants libres penseurs, la plupart d’origine irlandaise, qui voyaient d’un mauvais œil l’obligation d’assister une fois par semaine à la messe. Leur protestation, sur le ton de la parodie, fut d’annoncer que les bosquets et les arbres étaient leurs églises. Mais à l’origine, si les druides de la RDNA se réunissaient dans les bois, c’était surtout pour boire de l’irish whisky et échanger des cours de gaélique !
Cependant, le rituel officiel fut bientôt transcrit et retranscrit à mesure que les étudiants avançaient dans leur maîtrise de la langue et de l’histoire gaélique. Des branches du NéoDruidisme, courants appelés « groves » (bosquets, NdT), se sont rapidement créés dans d’autres universités. Leurs leaders, appelés « Archidruides », sont souvent devenus des maîtres en matière de culture gaélique et purent évoluer en un véritable clergé grâce aux ordinations accordées par ce bon Révérend Hensley. Certains archidruides sont d’ailleurs sérieusement devenus des érudits en ce domaine, par exemple P.E. Isaac Bonewits, l’auteur de Real Magic, œuvre portant sur l’anthropologie et l’occultisme, par ailleurs assez connue. Il fut le premier à obtenir de l’université de Californie un diplôme universitaire dans sa spécialité, le chamanisme.
La RDNA ayant commencé en tant que farce, elle en garde toujours quelque chose. On utilise ainsi l’irish whisky en abondance dans les cérémonies et les hérésies sont non seulement tolérées, mais encouragées par les Archidruides ! Selon ce principe qu’il est toujours bon qu’un maximum de personnes ait l’opportunité de réfléchir aux religions et à ce qui les concerne. La plupart des groves ne promulguent qu’un seul et unique dogme : « Le bien, c’est la nature ».
Le premier courant hérétique à avoir bifurqué de la RDNA a été celui des druides chasidiques, ou CNDA, fondé par le susnommé P.E. Isaac Bonewits. Le druidisme chasidic opère une forme de synthèse entre les pratiques du mysticisme juif (chasidisme) et le culte druidique des forces naturelles, en n’hésitant pas à emprunter à toute autre religion existante (au passage c’est aussi une pratique des Unitaires Américains) et au lieu du « L’an prochain, Jérusalem ! » juif, le toast s’exprima ainsi « L’an prochain, Stonehenge ! ».
La RNADNA, l’Église Réformée Non Aristotélicienne des Druides Nord Américains (2), dont les initiales articulent les sigles ADN et ARN, deux molécules génétiquement nécessaires à la vie, opèrent, quant à eux, la synthèse entre le Druidisme et la philosophie non aristotélicienne du philosophe et mathématicien d’origine polonaise, le comte Alfred Korzybski. Leurs membres se sont soumis à un certain nombre d’interdits linguistique – auxquels ils réfèrent en parlant de « questions d’hygiène sémantique » — par exemple en n’employant pas le verbe être qui présuppose une forme de certitude, or Korzybski considérait qu’après Einstein, l’on se devait de penser en tenant compte de la relativité. Du coup, on a reformulé le dogme druide « Le Bien, c’est la Nature » en « Il semblerait que la nature soit le bien ». Jamais les membres de RDNADNA ne diront « Beethoven, c’est mieux que Mozart » ; ils diront : « Il me semble, au stade actuel de mon éducation musicale, que Beethoven, c’est mieux que Mozart, cet avis ne concerne que moi. » Ils évitent aussi tout ce qui présuppose l’omniscience, ce qui, en même temps, les préserve du racisme, du sexisme, ou du dogmatisme, puisque la pire des choses qu’ils pourraient affirmer au sujet d’un groupe humain ou animal serait : « Au stade actuel de mon évolution, il me semble, mais je parle pour moi, que certains individus de cette espèce sont agressifs. » Ces règles énoncées, les groves de la RDNADNA s’en vont dans les bois, tout comme les druides de la RDNA, pour boire de l’irish whisky et communier avec ce que les autres Druides appellent la « Nature » et qu’eux-mêmes désignent par « réalité non verbale ».
Une troisième hérésie, celle de la sorcellerie druidique, plus tard amalgamée au renouveau wiccan ou sorcier, est née sur l’initiative un anglais excentrique vivant sur l’île de Man (où certains ont pu reconnaître la mythique Avallon, NdT) un dénommé Gerald Gardner. Avec une bonne dose d’hypocrisie, mais surtout en authentique visionnaire, Gardner affirma que la Wicca était la plus ancienne religion en Europe devenue une pratique souterraine à cause des persécutions chrétiennes, et qu’elle lui avait été enseignée par les survivant d’un cercle dont les origines remontaient au premier âge de pierre — chacune de ces affirmations faisant naître un sérieux doute dans l’esprit des érudits s’étant sérieusement penchés sur le sujet. Gardner s’est également proclamé anthropologue, mais au mieux a-t-il été un amateur intelligent et imaginatif dans ce domaine. En substance, la sorcellerie homemade de Gerald Gardner vénère une divinité féminine plutôt que masculine, et à l’instar des druides, opte pour la célébration du culte dans les forêts plutôt que dans une autre forme d’église ; après le décès de Gardner, son mouvement a fortement été influencé par le féminisme ; il s’axe plutôt des covens que des groves, et bien que chaque coven fonctionne sur son propre dogme - la réincarnation, l’Atlantide, ce genre de choses - tous adhèrent à cette idée que la domination masculine et les déités mâles sont responsables de la guerre, de la pollution, de l’intolérance, et de la plupart des problèmes sociaux. Une aube de paix et d’avènement des utopies se lèvera lorsque sera réalisée dans le monde l’égalité des sexes et le retour au culte de la déesse. Étrangement, cette idée que le monde est sur le point de vivre la réapparition du culte de la déesse a été exprimée par d’éminents érudits, comme l’historien Arnold Toynbee, le psychologue Carl Gustav Jung, ou l’anthropologue Joseph Campbell. Les sorcières le savent bien, et elles adorent en référer à ces autorités lorsqu’elles passent à la télé.
Si d’un côté la Wicca s’est mêlée au druidisme, de l’autre elle a fusionné avec la science-fiction ; l’Église de Tous les Mondes (Church of All Worlds, CAW), fondée en 1974, peut se prévaloir d’une certaine originalité, celle d’avoir vu le jour grâce à un roman, Stranger in a Strange World, de Robert A. Heinslein (Étranger dans un monde étrange). Best-seller dans les années soixante et toujours édité à l’heure actuelle, ce roman raconte l’histoire de Michael Valentine Smith, un enfant étant le seul rescapé du crash d’une fusée sur Mars. Smith est élevé par les Martiens, avant d’être retrouvé par un équipage spatial de la Nasa et ramené sur la Terre ; il trouve les humains miséreux, malheureux, belliqueux et entreprend alors de nous transformer en prêchant la religion martienne — dans laquelle on peut retrouver une forme panthéiste et rationaliste du bouddhisme zen. Un fan de ce roman, Timothy Zell — qui travaillait alors dans un hôpital psychiatrique de Saint Louis, a été tellement fasciné qu’il demanda un diplôme au révérend Hensley pour fonder la Church of All Worlds, église qui compte des désormais succursales (dénommées des « nids ») dans les plus grandes villes des États-Unis. Ses membres affirment qu’une religion basée sur un roman de science-fiction n’est certainement pas plus absurde qu’une autre fondée sur les légendes des anciens Hébreux ou sur les révélations d’un ange appelé Moroni.
L’enseignement principal de la CAW se résumait par « Vous êtes Dieu », jusqu’à ce que le mouvement entre en relation avec la Wicca et le féminisme ; désormais la CAW dit « Vous êtes le Dieu » aux membres de sexe masculin, tandis qu’aux membres du sexe opposé, il dit « Vous êtes la Déesse ». Les cérémonies, appelées « partage des eaux » sont assez jolies, et proviennent aussi de l’imagination scientiste de Heinlein. Pour le reste, cette théologie est rationaliste, individualiste, et se situe politiquement entre les libertaires extrémistes et les anarchistes non violents. Vous aurez tout compris si je vous dis que son positionnement politique me fait penser à une rencontre instable et explosive entre Ronald Reagan et Mahatma Gandhi.
Le fondateur Tim Zell, toujours actif dans le monde de la Wicca et dans la CAW, a eu le projet de créer, grâce à une sorte de chirurgie ou par un hocus pocus génétique, un dieu à corne unique qu’il appelle naturellement licorne, exhibé à l’heure actuelle dans des cirques. Lui-même est parti dans le Pacifique Sud, à la recherche d’une sirène. Je l’ai rencontré et je suis certain qu’il nous reviendra avec de quoi nous surprendre et nous amener le sourire.


La cérémonie du café aux États-Unis

Après avoir été, en 1967, congédié de l’Université de Harvard à cause de ses idées non conventionnelles (et avant d’être emprisonné), le psychologue le plus subversif des États-Unis, le docteur Timothy Leary, a publié un pamphlet où il affirmait que chaque foyer devrait être un temple, chaque homme un prêtre, et chaque femme une prêtresse. Ce pamphlet était intitulé « Créez votre propre religion » ; l’Amérique à cette époque étant réceptive à une pareille idée et les ordinations fournies par le Réverend Hensley, les Métathéologies, ou Religions-décoctions-faites-maison connurent un certain essor.
L’Église néoïste américaine, créée par le psychologue Arthut Kleps, ami et ancien associé de Leary, fut structurée selon le modèle de l’Église Native Américaine, si ce n’est qu’elle s’adressait à toutes les races — pas seulement aux Indiens Peaux-Rouges — et qu‘elle remplaçait le peyotl par du LSD lors des sacrements. L’Église néoïste Américaine n’a pas fait long feu : les tribunaux décrétèrent qu’il était légal pour les natifs américains de prendre des drogues dans un cadre religieux, puisque cette pratique était de nature traditionnelle, mais que pour les blancs, la religion n’était plus alors qu’un prétexte pour s’adonner à la drogue. Le fondateur, Kleps, qui se dénomme lui-même le Primate et les autres prêtres les Boo-Hoos, protesta en qualifiant cet acte d’ouvertement raciste, mais cet argument ne sut pas convaincre les juges. L’Église néoïste américaine n’existe désormais plus, ou dissimulée dans des manifestations underground, mais on trouve toujours le catéchisme, écrit pas Kleps lui-même, un livre très drôle, qui combine à la fois des éléments du bouddhisme, de la philosophie solipsiste, et une polémique hilarante, dans la tradition voltairienne, une critique des « chrétiens, juifs et athées » qui se refusent à reconnaître le LSD comme un sacrement.
Fondée dans les Indes occidentales, la secte rastafarienne est représentée dans de nombreuses villes américaines, et elle est réservée aux Noirs. Elle utilise le cannabis en tant que sacrement et voue un culte à l’empereur (du XXe siècle) Haïlé Sélassié, vénéré comme un Dieu. Cette église affirme que le Pape est « l’antéchrist en général, Père de la Mafia, Mage Empereur du Ku Klux Klan. » Ses membres sont souvent arrêtés pour possession de cannabis et contrebande, cependant et malgré son excentricité, l’Église rastafarienne n’est pas illégale.
En référant d’une façon quelque peu suspecte au nom des rosicruciens, les javacruciens ont eux opté pour le sacrement le moins controversé, la caféine. C’est sans doute le groupe religieux ayant le fondement théologique le plus simple, l’idée que la seule chose nécessaire au salut est la cérémonie américaine du café — variante de la tradition japonaise de la cérémonie du thé. On la pratique au lever du jour, tourné vers l’est, face au soleil levant, en élevant la tasse à ses lèvres. A la première gorgée, on doit gémir avec une certaine ferveur et intensité : « Bon dieu, j’en avais besoin ! ». Si cette cérémonie est pratiquée religieusement tous les matins, on devient, selon les javacruciens, à même de faire face à toutes les épreuves de la vie avec l’esprit tranquille et le mental clair.
La SFMB — sigle qui désigne la société de Fred Mertz, boddhisattva — a été créée par le poète finnois Antero Alli, qui maintient que toute la sagesse qui est la sienne provient des répliques du personnage à première vue insignifiant de Fred Mertz, de la série télévisée I love Lucy. En méditant continuellement les propos apparemment triviaux du personnage, du genre « je ne comprends rien de ce qui peut bien se passer ici », ou « je ne comprends absolument rien aux femmes », à ce que prétend cette secte, on trouvera la même illumination que dans la contemplation bouddhiste avec des supports tels que « quel est le son d’une main qui applaudit ? ». Et, tout comme dans le Zen, où les étudiants sont souvent amenés à méditer sur des sons monosyllabiques, tel le Mu, de même ici, la SFMB vous fera-t-elle méditer sur des mertziannismes tels que « Hein ? » ou « Ahhh ! » jusqu’à toucher dans ce qu’il y a de plus banal ce que Joyce a pu désigner sous le terme d’épiphanie.
L’Église de Satan, dont le quartier général se situe à San Francisco (naturellement), a des succursales et sous-succursales dans de nombreuses villes américaines, ainsi qu’une douzaine en Europe. Elle a été fondée par un employé de cirque, du nom de Anton Szandor Lavey. Elle est pourvue d’une bible satanique, écrite par Lavey lui-même (et dédiée à W.C. Fields et P.T. Barnum) et revendique d’invoquer Lucifer, Belzebuth, Astaroth, ainsi qu’un million environ d’autres démons, et de trouver un infini plaisir à foutre une trouille bleue aux pieux chrétiens. Malgré son diabolisme, l’Église de Satan n’a pas de tracas judiciaire (excepté lorsque des voisins se sont plaints que le lion apprivoisé de Lavey les réveillait durant la nuit), ses membres se limitant au blasphème, à la malédiction de leurs ennemis, et à l’expression rituelle de ressentis négatifs et d’interdits — Ce à quoi s’adonnent en fait de nombreux groupes de rencontre en Californie. Aucun de ses membres n’a jamais été arrêté pour de vrais crimes. Je les soupçonne même d’avoir par eux-mêmes lancé la rumeur comme quoi ce serait l’empire Proctor & Gamble (firme qui produit du savon) qui les finance. Des artistes Send Up plutôt peu scrupuleux.
La Croisade universitaire de Cthulhu pointe généralement son nez dans un campus américain lorsqu’y sévit la croisade universitaire pour le Christ ; elle est d’ailleurs surtout vouée à ennuyer cette dernière. Les Cthulhuistes vouent un culte à un monstre évoqué pour la première fois dans les romans de H.P. Lovecraft. Durant un certain temps, j’ai cru que cette secte ne progresserait jamais au-delà du niveau de la parodie et de la satire ; puis l’Église de Satan a incorporé Cthulhu dans son panthéon au même titre que les autres démons. Comme la croisade universitaire pour le Christ édite des autocollants de pare-chocs déclarant « Je l’ai trouvé », les Cthulhuistes éditent des autocollants proclamant « Il m’a trouvé », quand l’Église de tous les mondes affirme, quant à elle : « Vous êtes Dieu ».

Pape, vous pouvez l’être vous aussi
Plus sérieux, ou du moins plus désespéré, la société discordianiste, qui s’incarne aussi sous la forme du Paramétamysticisme de l’Eris Ésotérique (en anglais POEE, NdT), est une secte anarchiste délibérément été scindée en deux sous-groupes s’opposant pour proclamer être (je cite) « la première religion véritable ». Comme les sorciers, les Dicordianistes vénèrent une divinité primordiale féminine, or pour eux celle-ci est démente. Il s’agit d’Eris que les anciens Grecs connaissaient comme déesse du Chaos ; les Dicordianistes l’ont également proclamée déesse de la Confusion, de la Discorde, et de la Bureaucratie. L’orthodoxie discordianiste, dirigée par « Ho Chi Zen » (à savoir Kerry Thornly) aurait été révélée par un chimpanzé miraculeusement doté de parole, et ce à Yorba Linda, en Californie, sur une piste de bowling, en 1957. Affirmation rejetée en bloc par la POEE, qui la qualifie de superstition absurde montée pour duper ; elle donne, elle, cinq preuves de l’existence d’Eris, en réalité cinq aberrations logiques se réduisant à un seul argument : « Si Eris n’existe pas, alors donc, sacredieu d’athées, qui donc a pu foutre tout ce Chaos dans l’univers ? ».
Le Haut prêtre du Grand temple de la POEE est Malaclypse le Jeune, Polypère omnibienveillant de l’Hymen Doré (son vrai nom est Gregory Hill) ; et il a bien sûr fondé son ordre grâce à une ordination du toujours utile Révérend Hensley. La POEE a sa propre bible, écrite par Malaclypse, du nom de Principia Discordia, ou Comment j’ai trouvé la Déesse et ce que je Lui ai fait lorsque je l’ai trouvée ; l’Eglise tient des cabales (et non des églises, ni des groves, ni des covens, ni même des nids) sur l’ensemble des territoires américain, britannique, australien, canadien, et même à Hong Kong. Les chefs de Cabales, appelé Episkopi (le terme grec pour dire pape, NdT) ont des noms étranges, comme Camden Benares (qui a écrit l’ouvrage Le Zen sans les Maîtres Zen) qui dirige la cabale de Los Angeles de l’Eris Ésoterique (POEE, NdT) Onrak L’En Deça, qui dirige l’infiltration de l’Etat du Colorado, ou bien encore Lady L, Putain de Salope Anarchiste, qui mène la Cabale de Berkeley, et dont le titre lui a été, selon elle, donné par Elridge Clever lors d’un débat politique.
Les Discordianistes ont emprunté à Hensley ce qui faisait sa spécificité, à savoir que chaque homme, chaque femme, ou chaque enfant sur cette planète peut être un Pape. Ce qu’ils réalisent concrètement en distribuant en masse des cartes de Pape, sans oublier naturellement d’en envoyer une à l’anti Pape en France ; ou à ce type au Vatican qui pense toujours que c’est lui le seul Pape. Bon gré mal gré, tous les agents du Pentagone sont des Saints Discordiens, qu’ils le veuillent ou non, puisque Malaclypse les a canonisés et incorporés dans un Saint Ordre du nom de « Chevaliers du Château à cinq faces, sous le patronage de Saint Quichotte ». Le Pentagone lui-même est un lieu de culte religieux, dont on dit qu’il incarne la parfaite harmonie entre Chaos et Bureaucratie. Tous ceux qui sont des dissidents au Discordianisme, en tant que blasphémateurs, sont aussi des saints honoraires, affiliés au Foyer du soulèvement MÉLI, tandis que les Discordianistes sont des saints du soulèvement MÉLO.
Le discordianisme n’éclipse aucun dogme, mais il a un catme (jeu de mots intraduisible avec chien, dog, et chat, cat, NdT), l’Affirmation de Syadastan, qui consiste en la déclaration suivante : « Tout affirmation est tout à la fois vraies dans un certain sens, fausses dans un certain sens, insensées dans un certain sens, vraies et fausses dans un certain sens, vraies et insensées dans un certain sens, fausses et insensées dans un certain sens, et enfin à la fois vraies, fausses et insensées dans un certain sens. » C’est ce que les Discordianiste appellent le « Mantra libre » (ou gratuit, NdT) ; contrairement aux transcendantalistes, ils ne demandent pas de frais, mais insistent que le fait que répéter 666 permet d’accéder, dans un certain sens, à une Illumination Spirituelle.
Le Discordianisme a influencé de nombreux écrivains contemporains aux États-Unis, comme on peut le constater en lisant L’agent du Chaos, de Spinrad, ou l’Attraction d’un autre bord de la route, de Tom Robbins, ainsi que la fameuse Trilogie des Illuminati (écrite par l’auteur de cet article, NdT) ; l’obsession discordianiste concernant le nombre 23 apparaît aussi ces derniers temps dans un certain nombre de films hollywoodiens. Margot Adler, petite fille du psychologue Alfred Adler, a sobrement décrit la théologie discordianiste dans son ouvrage Drawing Down the Moon, étude sociologique sérieuse sur le néo paganisme aux États-Unis.
La WITCH, la Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell, (Conspiration internationale Infernale et Terroriste des Femmes) emprunte pour une grande partie à la Wicca et au Discordianisme. Même d’après les critères américains, ce n’est probablement pas une église ; elle se consacre essentiellement au théâtre de rue, soumettant à la satire les monothéismes, la domination masculine, et le pouvoir bureaucrate en général.
L’ordre du Veau d’Or a connu un bref essor, mais semble ne plus exister. Tous ses membres vivaient en Californie, à Berkeley, et possédaient une statue dorée ou en or représentant un veau, qu’ils emmenaient dans les mêmes rues où les autres sectes propageaient leur mouvement. Là ils s’adonnaient à l’adoration du Veau, en distribuant des prospectus décrivant leur idole comme « la première victime du sectarisme des monothéismes » et en pressant les autres « d’éclaircir un minimum leur truc ».
Le NOORDG, autrement dit le Nouvel Ordre Orthodoxe Réformé de la Golden Dawn, dont le sigle se prononce, si on y parvient « nroogd » (en anglais) est la plus grande église païenne de Californie, bien qu’elle commençât en tant que farce et qu’elle fut répudiée par l’un de ses trois cofondateurs, le Docteur Aidan Kelly, qui fut réellement un docteur es Théologie diplômé de l’Union Theological College. La Noordg combine certains rites de la sorcellerie druidique, de l’Église de tous les Mondes, la théologie discordianiste, ainsi que le lourd symbolisme des poèmes de Yeats - qui fut un héros de jeunesse du Dr Kelly. Même sans son ancien barde elle continue de bon gré à tourner, se réunissant dans des parcs publics pour vénérer la déesse, réciter des mantras, chanter, danser et se taper du whisky irlandais, mais aussi des produits bizarres et variés ramenés par les moins conventionnels de ses membres. Le Docteur Kelly, récemment revenu au catholicisme romain, a déclaré : « La nroogd est une métaphore. Le catholicisme en est une autre. À la base, je suis un poète. » Si cela n’est pas assez clair, efforcez-vous, à la manière du mantra libre discordianiste, de vous le répéter 666 fois.
Le Mouvement « John Dillinger est mort pour vous », dirigé par un homme au pseudonyme de « Docteur Horace Naismith » ( supposé être l’éditeur de Playboy le jour, et un maniaque la nuit) reconnaît comme son sauveur John Dillinger, cet homme qui a braqué 23 banques et 3 commissariats de police, avant d’être abattu par des agents du FBI en 1934. Ce mouvement (du sigle de JDDFYS) orne de couronnes de fleurs et de bouquets le parterre du Biograph Theater, lieu où Dillinger a été tué d’un coup de feu, tous les ans à l’anniversaire de sa mort. Leur principal enseignement spirituel vient de Dillinger, qu’ils appellent St John le Martyr, et consiste en cette phrase : « Allongez-vous par terre en gardant votre calme », ce que St John disait aux employés de banque nerveux avant de piller leur tiroir-caisse. Tout membre ayant été ordonné par le Dr Naismith reçoit une carte de membre qui en fait un(e) Assistant(e) Trésorier (ou Trésorière), à qui revient la charge de collecter les dîmes de nouveaux disciples assez naïfs pour rester des disciples sans devenir assistants-trésoriers en en faisant la demande écrite, adressée au Dr Naismith.

Pouvoir ! Sexe ! Succès ! Fric !
J’ai gardé le meilleur — ou peut-être le pire — pour la fin. Située à Dallas, l’Église des Sous Génies a emprunté un peu de tout à tout ce qui a été évoqué et à toute religion existant sur le globe ; elle utilise des techniques commerciales très puissantes dans la lignée des évangélistes chrétiens les plus agressifs, et vous promet, en lettres majuscules de vous enseigner le secret du POUVOIR, du SEXE, du SUCCES, et du FRIC ! Elle établira aussi un contact entre vous et des FORCES SURHUMAINES, en vous sauvant de LA CONSPIRATION, en vous montrant même comment réussir le LESTE, et obtenir quelque chose là où vous n’aviez rien.
On admet communément que cet ordre est élevé, son fondateur, JR Bob Dobbs, n’étant pas un mortel ordinaire. En réalité, il est très improbable que quiconque ait jamais vu « Bob » ; la promotion pour les sous génies consisterait à se rendre à Dobbsville, localité située quelque part en Amérique du Sud, et à survivre à une rencontre avec Bob, par le moyen d’une opération chirurgicale destinée à « ouvrir la troisième narine ». Et même ceci fait, on nous avertit qu’après une telle rencontre, on court toujours le risque de revenir avec une inflammation des yeux, des maux de tête, une amnésie totale ou partielle, et d’autres symptômes typiques des rencontres extraterrestres ; en outre, il y a des chances pour que vous soyez ensuite harcelés par des agents de LA CONSPIRATION, qui viendront sonner à votre porte déguisés en témoins de Jéhovah, et tenteront de s’introduire chez vous pour vous lobotomiser.
A ce qu’on dit, J.R. Bob Dobbs a été un vendeur de fenêtres en aluminium tout à fait ordinaire, et ce jusque 1957, date de sa rencontre avec L. RON Hubbard — à l’origine de la célèbre Église de Scientologie : il a alors reçu le Secret du Pouvoir. « Bob » est désormais fabuleusement riche, peut-être même encore plus riche qu’Hubbard, et se propose de vous enseigner à vous aussi le Secret, grâce à de nombreux livres et pamphlets au prix s’échelonnant de 1 à 25 dollars. On l’admet volontiers, ses travaux métaphysiques peuvent paraître « abscons » ou « absurdes » aux non-illuminés, mais on vous promet qu’en achetant suffisamment de livres, en les stockant et en les consultant régulièrement, vous parviendrez au LESTE et à la compréhension du Secret comme de ses modes d’emploi.
Je pense avoir trouvé le Secret du Pouvoir. Il se trouve dans l’une des publications les moins onéreuses des Sous Génies, Encore plus de mots et de liesse par « Bob », où l’on peut lire « Vous avez une idée de la stupidité moyenne des gens ? Eh bien, par définition, la moitié d’entre eux est encore plus stupide ». On le croise également dans des joyaux de Dobsianna tels que « Ne vous contentez pas de manger un hamburger — nourrissez-vous de l’enfer qui en ressort. », ou bien « S’ils ne rient pas à vos blagues envoyez les se faire voir », ou peut-être même dans la Devise Obscure « God à l’envers se prononce Dog, mais Bob à l’envers se prononce toujours Bob ».
Si rien de tout cela ne vous mène au LESTE, vous pouvez toujours vous offrir un ouvrage plus épais, une publication des Sous-Génies certes plus coûteuse, mais contenant une cosmologie intégrale, philosophique et eschatologique, dans laquelle apparaît Jehovah1, « Dieu cosmique » échappé d’une galaxie où il était prisonnier d’une pochette surprise cinglée, Eris, la déesse du Chaos, empruntée aux Discordianistes, Spider Man, L’Incroyable Hulk, sans oublier la bataille sidérale entre Bob et LA CONSPIRATION, qui implique tous les leaders des sectes et églises rivales, en même temps que les Rockfellers, les Bilderburgers, les Illuminati, les navettes spatiales infernales, les créatures nazies de l’enfer, et les clones communistes. On vous y prévient plusieurs fois que la fin du monde pourrait se produire demain, que cela pourrait durer plus longtemps que vous ne l’imaginiez, et être plus douloureux que quiconque n’est en mesure de se le représenter, mais cela importe peu pour celui qui a le LESTE.
Avoir le LESTE — comme l’illumination dans le mysticisme oriental, ou le ça dans le Séminaire de formation de Erhard, ne peut être décrit avec des mots, ou compris par l’intellect - on ne peut qu’en faire l’expérience. Cela implique de comprendre qu’il existe dans l’univers deux forces opposées radicalement, en même temps que complémentaires, comme le yin et le yan chinois, ou le MELI et MELO discordianiste. Ces deux forces en fait sont l’Étant et le Néant ; et c’est pour cela qu’en effectuant un simple tour d’horizon vous apercevrez toujours le quelque chose à l’arrière-plan du rien. Lorsque vous êtes en harmonie quelque part entre le quelque chose et le rien, vous avez le LESTE, et vous pouvez substituer l’Étant au Néant, et devenir aussi riche que « Bob », que Rajneesh, que Ron Hubbard, ou le Pape. Autrement dit, ainsi que « Bob l’a quelque part résumé, “Bordel, c’est encore plus relatif que Einstein ne l’avait dit ».
Alors que dans le monde profane, Bob reste en retrait et invisible, l’Église des Sous-Génies fait fonctionner une boîte postale (P.O.BOX 140306 à Dallas) où deux agents promotionnels locaux ramassent le courrier pour, je suppose, le refiler à « Bob ». Curieusement, il existe déjà un mouvement « Stamp our Bob », SOB, (« Écrasons notre Bob », jeu de mots avec « sob » qui signifie en anglais « larmoiement » ou « sanglot ») ; ce mouvement distribue de la propagande anti Sous-Génie, en avertissant les populations que ce « culte du mal » n’est qu’un business. On peut leur commander un tas de littérature éducative anti Bob, pour 15 dollars envoyés à SOB, P.O.BOX 140306 à Dallas ; en passant, il semblerait que la boîte postale soit exactement la même que celle de « Bob » - bizarre, non ?
L’Église des Sous-Génies prétend réunir 10 000 000 fidèles, mais pour parler franchement, j’en doute fort. De nombreux membres cependant appartiennent à de hautes sphères d’influence, comme cela s’est vu il y a peu lorsqu’Atari a mis sur le marché son nouveau modèle Jackintosh. En faisant fonctionner un programme normal avec le Jackintosh, brusquement, les utilisateurs pouvaient voir la machine imprimer cent images représentant JR « Bob » Dobbs lui-même. L’entreprise Atari enquête toujours à l’heure actuelle pour savoir qui de leurs employés a pu glisser ce bug dans le logiciel.

La nouvelle religion comme plaisanterie compliquée
En tant que journaliste d’investigation aux États-Unis, j’ai pu rencontrer un grand nombre de ces chefs d’Églises ou gourous. Je les ai trouvé plus intelligents et plus éduqués que la moyenne des gens, et souvent plus jeunes (l’âge moyen est en dessous de la trentaine, même si on en croise de plus de quarante ans) ; ce sont souvent de vrais érudits en matière d’anthropologie, d’histoire des religions, et surtout de science-fiction. Ils se rendent d’ailleurs aux colloques sur le sujet avec plus de dévotion encore qu’aux offices et aux célébrations de leurs Églises. Nombre d’entre eux travaillent dans l’industrie informatique, d’autres dans le domaine des loisirs ou des arts. Ils appartiennent souvent en même temps à deux ou plusieurs de ces mouvements ou sectes, et peuvent s’être impliqués dans certaines mystiques orientales. Une énorme majorité d’entre eux appartient aussi à la Société pour les Anachronismes Créatifs, qui tient des « foires » dans pas mal d’endroits aux États-Unis, et lors desquelles les participants s’habillent et agissent comme des gens du siècle dernier ou du futur, et où chacun crée son tunnel de réalité bien distinct. Souvent, ils sont à la fois pour l’écologie et pour la technologie — « technologie appropriée » est un de leur terme à la mode, suivi par « synergie » et « holisme ». Lorsqu’on leur demande à quel point ils sont sérieux, ils ont pour habitude de répondre que puisque les humains ont besoin d’une religion, ils s’appliquent donc à créer une religion relativiste pour une ère scientifique.
Malaclypse le jeune précise : « Nous n’avons pas élaboré une plaisanterie compliquée déguisée en religion. Nous avons élaboré une religion déguisée en plaisanterie compliquée ».
Quand est-ce que tout cela pourra avoir une influence sur l’Irlande ? Eh bien, ici il y a déjà le culte de Krishna, les gens de Rajneesh, les témoins de Jéhovah, et les religions établies, sans oublier certains sorciers locaux. Quelque frustrant que cela puisse être pour le Révérend Dr Mc Namara, je ne peux pas croire que les Discordianistes, les Sous-Génies ou même les druides réformés puissent être loin derrière.
Le romancier Robert Heinlein, qui a aidé à ce que tout cela démarre avec la religion martienne d’Étranger en Terre Étrange, nous a même fourni un argument tendant à montrer que toutes ces métathéologies peuvent toutes être également vraies, dans un roman paru récemment, le Nombre de la Bête. Avec son imaginaire mathématique, Heinlein postule un continuum espace-temps sexadimensionnel, dans lequel coexistent des univers parallèles du nombre de six puissance six à la puissance six. C’est un nombre puissamment grand (essayez de le calculer) ; Heinlein postule que chaque univers débute en tant que vide et qu’il se remplit à la condition que les humains inventent des choses qui n’existaient pas auparavant. Ainsi, toute idée même la plus absurde, est vraie dans un univers donné, quelque part dans l’espace-temps, et la « réalité » ne peut être décrite que comme un Solipsisme Panthéiste à Ego Multiples ; en d’autres termes, chaque esprit est à l’origine de son propre univers.


notes:
(1) En français dans le texte. (2) Reformed Non-Aristotelician Druids of North Americains.


Titre original : « Religion , For the Hell of It », par Robert Anton Wilson. Première édition : Hot Press - Dublin, Ireland (1986). Ce texte se trouve également l’ouvrage Coincidance de Wilson, New Falcon Press.

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