Friday, March 15, 2013

NEGATIVLAND : LES PRINCIPES DE LA LIBRE APPROPRIATION

LA LIBRE APPROPRIATION EST UNE CHOSE INEVITABLE lorsqu'une population matraquée par les médias électroniques rencontre les logiciels qui les encouragent à cette capture.


EN TANT QU'ARTISTES, notre œuvre engage à disposer certaines données qui sont publiquement disponibles et ont un impact dans la sphère publique, à les disposer pour les déplacer, parce qu'elles agrémentent notre environnement proche et affectent notre réceptivité. Dans notre société, les médias qui nous entourent sont tout aussi disponibles et tout aussi valables en tant que thématique artistique que ce qui est de la nature elle-même.

EN TANT QU'ARTISTES le caractère économiquement prohibitif de droits d'auteurs et la prohibition effective qui empêche d'obtenir les autorisations qu'il faut, lorsqu'un nouveau contexte ne va pas dans le sens de notre usage de samples, ne devraient pas amoindrir notre capacité de citer le monde des médias alentours pour s'en faire le reflet.

NOS APPROPRIATIONS sont multiples, évolutives, et fragmentaires par nature ; elles n'incluent pas d'œuvres entières.

NOTRE OEUVRE est un "tout" original et authentique, qui est bien plus que la somme des samples dont elle est faite. Ce n'est pas une forme de 'bootlegging", de "piratage" ou de "contrefaçon" qui aurait pour but de tirer profit du potentiel commercial des sujets appropriés. Il faut que la loi se confronte au problème d'établir la distinction entre une intention d'ordre artistique et une intention d'ordre économique.

IL N'EXISTE AUCUN EFFET DEMONTRE QUI SOIT NEGATIF sur la valeur économique des œuvres originales dans lesquelles nous puisons nos matériaux, ou aucun impact sur le revenu de l'artiste auteur de l'œuvre original, ou même sur son statut culturel. Citer une œuvre, l'invoquer par le fragment, est au minimum susceptible d'avoir un effet positif dans les domaines concernés (l'usage du sample dans le RAP ou le HIP HOP a joué un grand rôle dans le second souffle de la carrière d'un musicien comme James Brown, et ce qu'il a fait c'est de les traîner en procès!)

LE BESOIN DE REALISER quelquechose à partir d'autres choses est une impulsion qui est tout-à-fait traditionnelle, socialement saine, et artistiquement viable, qui n'a été que récemment criminalisée , pour forcer à payer des droits privés pour cette pratique (ou pour l'interdire de façon à s'en débarrasser) Ces verrous privés systématiques en ce qui concerne les médias de masse ont abouti à une culture de masse qui s'est presque entièrement "professionnalisée", formalisée, et qui est pratiquement immunisée contre toute approche participative ( *bottom up), toute critique directe qui n'aurait pas son aval.

DANS LES TRIBUNAUX, le principe le plus souvent adopté, celui selon lequel " si ce n'est pas motivé par le profit, l'usage ne peut en être juste", constitue un préjugé égoïste imbécile, et malavisé à l'encontre de la lutte pour la survie d'un art neuf. Toute réalisation dans le domaine des médias (comme dans n'importe quel domaine) a un coût, et un coût important. Il faut pour créer, dupliquer et diffuser quelquechose, quoi que ce soit, des investissements substantiels qui sont à la fois des investissements initiaux et dans le temps; il faut aussi se procurer certains biens manufacturés. Le fait pour les tribunaux d'avoir si facilement recours au standard de pensée qu'un usage juste est désinteressé en termes de profit montre que ceux-ci ignorent la réalité pour les artistes, quel que soit leur parti, d'avoir à financer leur travail et à se financer eux-mêmes, grâce à un retour d'investissement, comme pour tout un chacun. Ce standard de non-profit, qui s'applique actuellement, doit simplement assurer que cet usage sans profit sera la chasse gardée de seuls ceux auront un financement indépendant. Si la société accorde de la valeur aux dimensions d'émulation et de transformation des œuvres critiques et éthiques qui s'affirment dans l'effervescence de la pensée indépendante, celle des bases, la loi ne devrait pas faire preuve de tolérance à l'égard de ces tentatives d'étouffement de telles œuvres, en leur refusant la survie économique dans notre marché informel de libre échange.

NOUS PENSONS que la liberté artistique pour tout un chacun est plus importante pour la santé de notre société que les revenus additionnels et superfétatoires qui découlent des péages des copyrights privés, ces derniers générant un climat culturel de contrôle artistique et de Police de l'Art. Aussi valables qu'aient pu être au départ les intentions de nos lois sur la propriété intellectuelle, elles sont désormais clairement perverties lorsqu'utilisées dans le contexte d'œuvres aux prises avec la censure, visant à éliminer chez le public le besoin de recycler l'information en lui donnant une forme nouvelle, et et à réunir des fonds d'une façon purement opportuniste en interdisant l'usage public de ressources déjà diffusées qui sont en réalité déjà disponibles pour tous. La constitution américaine montre clairement que l'intention originelle des lois sur la propriété intellectuelle était celle de promouvoir le bien public, et non de garder les biens privés. Nul ne saurait s'autoriser à réclamer un contrôle privé sur le processus créatif en soi. Cette lutte est essentiellement celle de l'art contre le business, et elle a finalement à voir avec la question de savoir lequel doit en définitive prendre le pas sur l'autre.

http://deoxy.org/negativland-tenets.htm

Wednesday, March 13, 2013

Jack Parsons Les Sorciers

Nous sommes les sorciers. Nous sommes l'organisation la plus ancienne au monde. Lorsque naquit l'homme, nous étions là. Nous entonnâmes au berceau le premier des chants. Nous guérissâmes la première des blessures, réconfortâmes la première des terreurs. Contre les Ténèbres nous fûmes les Gardiens, Auxilliaires du versant de la Main Gauche. De nous se souviennent les pétroglyphes pyrénéens, les images des tablettes d'argiles, façonnées de desseins anciens quand le Monde était neuf. Notre main se posa dans les cercles de Pierre, sur les Monolithes, les dolmens, et les chênes druidiques. Nous chantâmes les premiers chants de chasse, nous fîmes pousser les premiers champs cultivés; quand l'homme se tenait nu, debout, face aux Forces qui l'ont fait, nous chantâmes les premiers hymnes de merveille et de terreur. Parmi les Pyramides nous avons connu l'idylle, nous avons vu l'empire et le déclin de l'Égypte, nous avons régi des territoires de Chaldée et de Babylone, ou ceux des rois mages. Nous avons siégé dans les assemblées secrètes en Israël, et dansé les danses sauvages comme les danses rituelles dans les bosquets sacrés en Grèce.

En Chine et au Yucatan, au Kansas et au Kurdistan nous ne faisons qu'un. Toutes les organisations ont entendu parler de nous, pourtant nulle organisation ne se rattache à nous, car lorsqu'il y a une trop grande organisation nous nous en allons. Nous sommes du côté de l'homme, de la vie; du côté de l'individu. C'est pourquoi nous sommes contre toute religion, toute morale ou tout gouvernement. C'est pourquoi notre nom est Lucifer. Nous sommes du côté de la liberté, de l'amour, de la joie et des rires, du côté de l'ivresse divine. C'est pourquoi notre nom est Babalon.

Nous nous mouvons, parfois ouvertement, parfois dans le silence et le secret. Le jour et la nuit ne forment pour nous qu'une seule et même chose, le calme et l'orage, les cycles et les saisons des hommes, toutes ces choses ne font qu'un, car nous nous trouvons aux origines. Nous nous tenons, dans l'imploration, face aux Pouvoirs de Vie et de Mort, et ces Pouvoirs nous entendent, et nous portent secours. Notre voie est la voie du secret, notre direction est l'inconnu. Notre voie est celle du serpent dans les broussailles, notre savoir se loge dans les yeux des femmes et des chèvres.

C'est du pouvoir qui est le nôtre que parfois se glissent dans le sein de l'homme des rivières de joyaux ou d'imposantes roues dentelées; notre Pouvoir ne fait qu'un avec le Pouvoir qui fait que le Dieu s'agite au cœur de la graine, et que le bourgeon éclot pour se faire fleur et s'épanouir en fruit; et à chaque fois qu'un homme et une femme connaissent l'union en une seule et même substance, cette substance, c'est ce qu'est notre pouvoir.

Merlin fût l'un des nôtres, et Gauvain et Arthur, et Rabelais et Catulle, et Gilles de Rets et Jeanne d'Arc, et Jacques de Molay, John Dee, Cagliostro, Francis Hepburn et Gellis Duncan, et Swinburne et Eliphas Levi et nombre d'autres bardes, mages, poètes, martyrs notoires ou inconnus ayant porté notre étendard contre l'ennemi multiforme et omniprésent, l’Église ou l’État/ Et lorsque cette vermine de l'Enfer dénommé Église Chrétienne ont maintenu l'Occident tout entier sous le joug du péché, de la terreur et de la Mort, nous et nous seuls avons apporté l'espoir dans le cœur de l'homme, malgré les donjons et le bûcher.



Nous sommes les sorciers, et sans pourtant nous connaître les uns les autres un lien nous unit et ce lien est indissoluble. Et lorsque résonne en votre esprit le cri de l'aigle, ce cri haut et sauvage, sachez qu'en votre désir de liberté vous n'êtes pas tous seuls. Et lorsqu'en les forêts de nos nuits retentit le hurlement du loup, sachez que vous n'êtes pas les seuls à rôder. Et lorsque les actes de vos contemporains vous semblent être le fait de l'imbécilité et de la folie; sachez que d'autres ont vu, ont jugé, et ont pris des mesures.

Sachez à présent que le pouvoir que nous servons réside en le cœur de chaque homme et de chaque femme comme dans la graine l'arbre vit déjà. Et pour être avec nous, il vous faut invoquer ce pouvoir, alors vous êtes des nôtres. Et lorsque vous ont rejoint cette Joie et ce Pouvoir vous pouvez allez de l'avant et agir parmi les hommes selon la volonté qui est la vôtre, nul alors ne saura vous dire non. Et si c'était votre volonté, vous pourrez la mettre en œuvre en secret cette volonté, et si c'était votre volonté, vous pourriez le faire aux yeux de tous, selon votre volonté.

Alors élevez donc votre cœur en disant "Je suis un homme" ou "Je suis une femme, et le Pouvoir de Vie m'appartient!" Alors vous aimerez et vivrez le Pouvoir de Vie, et il ne sera aucune restriction que vous pourrez accepter ni établir, votre vie sera libre et votre vie sera libératrice. Et peut-être, dans ce que la vie a de plus grand, verrez vous l'amour de la vie briller dans les yeux de quelqu'un d'autre et le désir de vie resplendir sur son front ainsi vous connaîtrez ensemble une grande joie. Peut-être aurez vous la chance de trouver et partager votre joie dans le secret de vos fêtes et de vos réjouissances et toutes sortes de célébrations d'amour physique. Ou peut-être dans le risque et le danger aux hommes vous enseignerez ce pouvoir de joie; comme vous en inclinera votre volonté.

Et c'est très bien tant que vous ne perdez pas de vue une seule chose. Il n'y a nulle restriction qui tienne. Le Pouvoir de Vie ne connaît aucune restriction; il n'a qu'une seule voie, la sienne, et nul esprit ne saurait la connaître. Alors pratiquez donc pour vous-mêmes le fait de prendre et de donner la liberté en accord avec la vie, ce n'est qu'ainsi que vous pourrez demeurez dans la Joie qui est la nôtre.

La douleur existe. La Terreur existe, la solitude et la perte aussi, l'agonie existe celle du cœur et de l'esprit aussi et même jusque la Mort existe. Car ceci est la porte du Royaume de Pan.

Notre voie ne peut pas s'ouvrir à tous les hommes. Certains sont en eux-mêmes si mal et si contraints que la seule pensée de leur propre liberté leur fait horreur, et que celle des autres leur cause de féroces tourments; ce qui fait que tous les hommes pourraient être à leur merci, s'ils le pouvaient. Et ceux-là il faut les fuir, voire s'il le faut les détruire, et cela vous savez comment, car c'est aussi ce que la Vie a de grand.

Ne pensez pas non plus que le pouvoir de Vie se manifeste aussi chez ceux qui ne vivent qu'un calme tranquille, car il se peut que ce ne soit que des innocents qui ne vivent pas leur temps, ou du bétail imbécile. Ce pouvoir a plutôt tendance à se montrer là où les conflits font rage, puisqu'à chaque fois, et à plus forte raison dans des civilisations de fausseté, il faut faire son chemin. Il n'est de pire désastre que la rédition. De l'autre côté de la balance, un chant au grand soleil, une danse au clair de lune, là où se dissipent tous les brouillards. Mais il faut faire son chemin.

Thursday, March 01, 2012

J.W. PARSONS: LA LIBERTÉ EST UNE ÉPÉE À DOUBLE TRANCHANT

© The Seventh Ray 1976 - C.R. Runyon – Editor

Note de l'éditeur : Jack Parsons trouva la mort en 1952 dans un accident de laboratoire




Depuis que j'ai écrit cet essai en 1946, certaines de ses prédictions les plus sinistres se sont réalisées. Des fonctionnaires ont été soumis aux indignes "serments de loyauté", et à l'ignominie des purges. Des membres du Sénat américain, couverts par leur immunité et par l'excuse de l'urgence, ont tourné la justice en dérision et ont fait du droit à la vie privée une plaisanterie. L'intégrité de la constitution et la légalité des procédures ont été violées de façon non négligeable, et aux États-Unis ce qui autrefois aurait pu susciter l'indignation, la Cour Suprême refuse aujourd'hui ne serait-ce que d'en débattre.

La voix d'or d'une société autoritaire, qui prétend protéger d'un prétendu socialisme s'appliquant à tout et n'importe quoi, partout s'élève et accapare l'attention avec ce tout qui en découle: confiscation par l'impôt et intrusion de l'État dans les libertés individuelles. L'Angleterre s'est peu à peu abaissée sous le joug d'un régime politique synonyme d'une totale rigidité. L'Autriche, la Hongrie, la Yougoslavie et la Tchéquoslovaquie se sont retrouvées victimes du communisme alors même que les États Unis contractent avec les dictatures corrompues en Argentine et en Espagne.

Au moment où j'écris, le Sénat américain a mis en oeuvre un ensemble d'enquêtes dérisoires, qui portent sur la morale sexuelle privée des individus, et qui ne fera rien d'autre que d'amener de nombreux innocents à une triste et pénible condition.

L'inertie et le consentement qui ont ouvert la voie à la suspension de nos libertés auraient autrefois été impensable. L'ignorance et l'indifférence actuelle sont épouvantables. Le peu de choses qui vaille encore la peine dans notre civilisation et notre culture est rendu possible par une minorité de gens capables de pensée créative et d'action indépendante, assisté à contre coeur par le reste de la population. Lorsqu'une majorité d'hommes ont renoncé à leur liberté, le barbarisme n'est pas loin, mais lorsque la minorité créative a fait de même, l'Âge Noir a commencé. Même le terme de libéralisme est devenu une façade ou une nouvelle forme sociale de la morale chrétienne. La Science, qui à l'époque de HG Wells devait sauver le monde, est matée, intimidée, camisolée; son langage universel en est réduite à un seul mot : sécurité.

De ce point de vue, celui de 1950, certaines de mes paroles portant le plus d'espérance pourraient presque paraître naïves. Je n'ai pourtant jamais eu la naïveté de croire que la liberté, dans tous les sens du terme, ne serait possible pour autre chose qu'une minorité. Mais je persiste à croire que cette minorité, par son sens du sacrifice, sa sagesse, son courage et ses efforts continuels, peuvent réaliser un monde libre et le faire perdurer. C'est un labeur héroïque mais il est possible à faire, avec l'éducation et à l'exemplarité. Ainsi était la foi qui a construit l'Amérique, et elle y a renoncé. J'appelle l'Amérique à renouveler cette foi, avant qu'elle ne succombe.

Nous vivons dans une seule et même nation mais nous vivons aussi dans un monde et un seul. On voit l'âme des bidonvilles dans les yeux de Wall Street, et le destin d'un coolie chinois détermine la destinée des États- Unis. Nous nous pouvons supprimer la liberté de notre frère sans supprimer en même temps la nôtre, et on ne peut assassiner nos frères sans nous assassiner nous-mêmes. Soit nous nous engageons, en tant qu'hommes, à prendre parti pour la liberté et la dignité humaines, soit c'est ensemble que nous retomberons, comme des animaux, à l'état de jungle.

En cette heure tardive, c'est de solutions que nous devons en priorité nous préoccuper. Il semble que nous vivions dans une nation qui ne sait pas, que nous avons ce qu'on nous a dit, et que nous avons ce dont nous parlons. En effet, c'est même bien plus encore. Cet essai est consacré à définir la liberté, à la comprendre, de façon à pouvoir y parvenir et la défendre. Je n'ai pas besoin d'ajouter que la liberté est dangereuse; mais il semble à peine possible que nous soyons tous des lâches.

Chapitre 1


La société, depuis des temps immémoriaux, a accepté l'idée que certains hommes ont été créés pour être esclaves. Leur fonction naturelle était de servir les prêtres, les rois et les nobles, hommes de substance et de propriété qui par Dieu Tout Puissant étaient désignés comme maîtres d'esclaves. Ce système fut renforcé par la doctrine, établie, que chaque homme et chaque femme était par l'esprit la propriété de l'Église, et par le corps la propriété de l'État. Cette situation bien commode était maintenue par l'autorité de la société morale, la religion et même la philosophie.

C'est contre cette doctrine qu'il y a deux cent ans qu'est apparue l'hérésie la plus surprenante que le monde ait jamais connue : le principe du libéralisme1. Ce principe affirmait dans son essence que tous les hommes sont créés égaux et sont doués de droits inaliénables qui appartiennent à chacun de par le droit de sa naissance. Cette idée a attiré de nombreux esprits insoumis - hérétiques, athées ou révolutionnaires - et depuis lors a progressé en dépit de l'opposition d'une majorité de la société civile. Tout comme un slogan, pourtant, ce n'est que par le discours et sans volonté réelle que tous les principaux états ont pu lui rendre hommage; et cependant dans les autorités elle n'est pas du goût de certains, si bien que nulle part elle ne s'incarne en tant que loi fondamentale; continuellement elle est violée que ce soit concernant le fond et la forme, par chaque ruse des bigots et de réactionnaires. Cela va même plus loin, car les groupes totalitaires et absolutistes les plus vicieux utilisent le libéralisme comme couverture avec laquelle ils s'affairent à rétablir les tyrannies ainsi qu'à exterminer les libertés de tous ceux qui s'y opposent.
1 Le libéralisme politique est une doctrine de la philosophie politique américaine, héritage des Lumières
(« Enlightenment ») : à l'époque de Parsons il faut l'entendre de façon plus large que le libéralisme économique, voire entendre dans ce texte le mot libéral certainement dans un sens voisin du mot libertaire.

Ainsi les groupes religieux cherchent-ils à abroger la liberté dans l'art, de même que la liberté de la presse et la liberté d'expression; les réactionnaires agissent pour supprimer la gauche ( le labor*), les communistes pour mettre en place des dictatures – et tout ça, au nom de la « liberté » En raison de la singulière définition donnée à la liberté par ces tyrans camouflés, il semble nécessaire de redéfinir la liberté dans les termes compris par Voltaire, Paine, Jefferson et Emerson.

La liberté est une épée à double tranchant dont l'un est la liberté2, et l'autre la responsabilité. Chaque tranchant est excessivement coupant et l'arme ne convient pas à des mains traîtres, lâches ou désinvoltes.

Puisque toutes les tyrannies reposent sur des dogmes et que tous les dogmes reposent sur des mensonges, il nous incombe de voir au delà, car aussi bien la vérité que la liberté seront bien loin. Et pourtant, la Vérité, c'est que nous ne savons rien...

...Objectivement, nous ne savons rien du tout. Tout système intellectuel de pensée, qu'il s'agisse de la science, de la logique, de la religion ou de la philosophie repose sur certaines idées fondamentales, ou axiomes, posés comme hypothèse mais impossible à prouver. Ceci est le tombeau de tout positivisme. Nous posons des hypothèses mais nous ignorons qu'il existe un monde objectif et réel au dehors de notre esprit. En définitive nous ne savons pas ce que nous sommes ou ce qu'est le monde. En outre, s'il y a un monde réel séparé de nous-mêmes, nous ne pouvons savoir ce qu'il est réellement; tout ce que nous en savons, c'est la façon dont nous le percevons. Tout ce que nous percevons est véhiculé par les sens et interprété par le cerveau. Quels que soient l'exactitude, la sensibilité ou le raffinement de nos instruments scientifiques, les données sont toujours filtrées par nos sens et interprétées par notre cerveau. Quels que soient l'utilité, le caractère spectaculaire ou nécessaire de nos idées et expérimentations, ils ont toujours peu à voir avec la vérité absolue. Une telle chose ne peut exister pour un individu que selon une lubie ou selon sa propre vérité, celle du vécu.

Les sorcières et diables au Moyen Âge étaient réels selon nos standards: des personnes réputées et responsables y croyaient. On les voyait, on observait leur effets et on leur attribuait un corps de phénomènes autrement inexplicables. La majorité des hommes, de haute et basse conditions, acceptaient leur existence sans la remettre en cause. Cette majorité a été et reste sans appel. Pourtant aujourd'hui on ne croit plus en ces choses. Nous croyons en d'autres choses, qui de façon similaire expliquent ces phénomènes. Demain c'est encore en d'autres choses que nous croiront. Nous croyons, mais nous ne savons pas.

Toutes nos déductions, comme par exemple la théorie de la gravitation, reposent sur l'observation de statistiques, de tendances des choses à se produire d'une certaine façon. Même si nos observations sont correctes, nous ne savons toujours pas pourquoi ces choses se produisent. Nos théories ne sont que des hypothèses, aussi raisonnables puissent-elles paraître.

Il existe un type de vérité qui se base sur l'expérience, nous savons que nous avons faim, ou trop chaud, ou si nous sommes amoureux ou non. On ne peut les faire comprendre à quelqu'un qui n'en aurait pas fait l'expérience. On peut les décrire en terme de sentiments voisins vécus par quelqu'un d'autre, analyser leur processus de cause à effet avec des théories, mais ce quelqu'un d'autre ne saura jamais vraiment ce qu'est votre ressenti.


2 Il existe en anglais deux mots pour évoquer le terme de liberté: freedom, qui est plutôt physique ou
psychologique, et liberty, qui est plus abstrait ( sur le plan politique on parle de « individual liberties »
pour parler de libertés individuelles au sens large) et qui désigne plutôt l'absence de contrainte.


Ce sont probablement des considérations négatives que j'ai ici énoncées mais on peut, au sein de leurs limites,
en déduire des principes positifs.
1. Quoi que puisse être l'univers, nous en sommes, par vertu de notre conscience,
soit tout ou partie, mais nous ne savons pas si c'est l'un ou l'autre
2. Aucune philosophie, théorie scientifique, religions ou système de pensée ne peut
être infaillible ou absolu. Ils ne sont que relatifs. L'opinion d'un homme est aussi
bonne que celle d'un autre.
3. Il n'existe aucun justification absolue qui permette de mettre en valeur un mode
de vie plutôt qu'un autre, une théorie individuelle plutôt qu'une autre.
4. C'est le droit de chaque homme d'avoir sa propre opinion et son propre mode de
vie. Il n'est aucun système de pensée humaine qui puisse parvenir à réfuter cette
thèse.

Voilà pour le positivisme mais il reste d'autres problèmes. Il y a la nécessité, la pauvreté et le confort. Si ce ne sont que des illusions elles sont très populaires et c'est une chose commune de les prendre en compte. Nous pourrions dire que la politique se préoccupe de la pauvreté et de la nécessité, tandis que la science se préoccupe, elle, du confort. Ceci ne vise pas à discréditer la raison et la science dans leurs domaines propres. La raison est l'un de nos dons les plus grands, c'est le pouvoir qui nous différencie des animaux, la science est notre outil le plus grand, notre meilleur espoir de pouvoir construire une vraie civilisation. ( Il semble même curieux que ce truisme moderne puisse apparaître, dans ce raisonnement même, comme une concession)

Malgré sa valeur inestimable, la science reste un outil et n'a rien à voir avec la vérité ultime. Là est le danger de la science. Car en tant qu'outil elle a tant de valeur d'utilité et elle est si irrésistible que nous tendons à la considérer comme l'arbitre de l'absolu, qui donne la déclaration finale et irréfutable sur tout. C'est exactement la position que les pédants, les dogmatiques et les matérialistes dialectiques voudraient que nous prenions. Ainsi, se posant comme 'scientifiques' ou en soumettant des doctrines 'scientifiques', ils peuvent nous persuader d'accepter ses valeurs ou d'obéir à leurs ordres. La science d'aujourd'hui se doit d'être libre d'opérer une rupture totale avec son passé, car autrement elle dégénèrera en culte des ancêtres.

Il est nécessaire que nous défendions la liberté, à moins que nous ne voulions tous être des esclaves. Il est indiqué que nous parvenions à la fraternité à moins que la destruction soit notre désir, et il est pratique que nous nous accordions mutuellement la liberté d'avoir sa propre opinion et son propre mode de vie, de façon à ce que nous-mêmes le puissions.

L'individu intelligent ne basera pas sa conduite sur un concept, arbitraire ou absolu, de bien et de mal. On pourrait rétorquer que tous les mobiles et les actions sont égoïstes puisque leur intention est de satisfaire un besoin de l'ego. C'est peut-être vrai du sacrifice personnel, de l'abnégation et de l'altruisme le plus noble. Nous nous y engageons de façon à nous satisfaire nous-mêmes, en atteignant quelque objet aussi intangible soit-il.

L'égo peut être extrêmement vaste. Dans son égo un homme peut comprendre le monde entier, il s'arrange ainsi à racheter ou à sauver cet égo pour nulle autre raison que le plaisir de son accomplissement personnel. Un tel homme, loin d'être altruiste, est extrêmement égoïste. L'artiste dévoué à la production de la beauté à l'état pur s'y consacre par nécessité et par sa nature, au moins un égoïsme de cette sorte n'est pas mesquin. Les motifs de l'amour familial et du patriotisme s'enracinent dans la bigoterie. Cela n'en diminue pas nécessairement ces actions et leurs motifs. Tout dans la nature est beau, et n'en devient pas moins beau lorsqu'on le comprend. Pourtant l'homme non éclairé attribuera à toutes choses des valeurs arbitraires pour protéger et justifier sa position personnelle. Sa morale repose sur des choses dont lui ou quelque autre souhaiterait qu'elles soient vraies. Sa philosophie n'accorde aucune attention à des faits ou des choses relatifs et pourtant dans sa vie quotidienne il doit gérer ces choses-là. Il est par conséquent engagé dans une perpétuelle ronde d'illusions et de faux-fuyants.

De telles justifications sont inutiles à l'homme libéral, éclairé. Il prendra conscience et acceptera cet égoïsme qui est inhérent aussi bien à lui qu'à tout homme. Il pourra comprendre la vie comme technique, celle d'obtenir ce qu'il veut de la façon dont il veut.

Il en va de même pour la liberté. Si nous abrogeons la liberté d'un autre pour parvenir à nos fins, cela compromet notre propre liberté. Cela en est le prix. Si nous souhaitons nous assurer notre liberté, nous devons aussi nous assurer de la liberté de tous les hommes. C'est la technique.

À supposer qu'un homme libéral en venait à développer deux personnalités distinctes, dont l'une exercerait une dictature bienveillante tandis que l'autre poursuivrait son activité de façon libérale, ce ne serait qu'une question de temps avant qu'il ne mette fin à ses jours. La restriction de la liberté de l'autre est au final un asservissement de soi-même et un suicide. Le dictateur est le plus abject de tous les esclaves.

Ces considérations simples sont la base logique de la philosophie du libéralisme. À partir de telles considérations et de bien d'autres, les principes fondamentaux du libéralisme sont apparus comme un code de droits, basiques de par leur nature et clair au delà de tout malentendu possible. Ce code doit être la Loi au delà de la loi, l'expression ultime de la dignité d'un individu et de son inviolabilité. Elle doit se placer au dessus des compromissions propres aux cours de justice et aux avocats, et doit être au delà des lubies du peuple et de la tricherie des démagogues. Ce doit être le modèle de l'aspiration de l'homme à la liberté et à l'auto détermination, un canon si sacré que sa violation par un état, un groupe ou un individu est une trahison et un sacrilège. Le Bill of Rights dans la constitution américaine a été un pas dans la bonne direction et son étude indiquera les développements ultérieurs. Dans un monde à tel point menacé par le positivisme et le paternalisme cette doctrine est limitée à la fois dans sa vision et ses application. Elle permet à l'état des violations de la liberté comme, récemment la Prohibition, la loi de conscription, la loi Mann3, le Closed shop4 ,les lois de censures et anti armes à feu, les lois de discriminations raciales.

On a affirmé à juste titre que c'est la Cour Suprême qui peut dire ce que signifie la Constitution. Un document aussi fondamental que le Bill of Rights ne peut se voir remis en cause par des interprétations arbitraires. Il ne devrait nécessiter aucune interprétation. Il doit s'appliquer de la même façon dans l'état fédéral, les états, les régions, les municipalités, les agences officielles et dans la sphère privées par les citoyens dans leur provinces.



Il doit s'appliquer de manière à ce que les individus ou les minorités n'aient pas à devoir élaborer des

3 qui interdisait la circulation des prostituées entre états
4 obligeait les patrons à n'employer que des travailleurs syndiqués

procédures longues et coûteuses pour protéger ces droits. C'est le devoir de l'état de procurer ces moyens à tous de la même façon.
La liberté ne peut être sujette à des interprétations arbitraires ou fausses. Elle doit inclure tout entière la liberté contre les persécutions basées sur des raisons morales, politiques, économiques, raciales ou religieuses. Aucun homme, aucun groupe ni aucune nation n'a de droits sur la liberté individuelle de quelqu'un. Aussi pure qu'en soit la cause, quelque importante en soit l'urgence ou grand le principe, une telle action est tyrannique et ne peut trouver aucune justification.
La question est : sommes-nous capables d'affronter les conséquences de la démocratie? Il ne suffit pas d'assurer la liberté par des moyens purement négatifs. la liberté est insignifiante là où son expression est contrôlée par des groupes aussi puissants que la presse, la radio, l'industrie cinématographique, les églises, les politiciens et les capitalistes. Il faut assurer l'existence de la liberté.

On ne peut l'assurer que par l'allégeance aux principes que l'homme est doté de droits inaliénables, parmi lesquels les droits:
- de vivre sa vie privée, à partir du moment où elle ne concerne que lui, de la manière dont il l'entend
- de pouvoir boire et manger, se vêtir, vivre et travailler où il le veut et comme il le veut.
- de pouvoir s'exprimer, parler, écrire, publier, expérimenter, et autrement, créer comme il le désire.
- de choisir son travail, de choisir quand et où il l'exerce, et ce pour un salaire raisonnable et approprié.
- de pouvoir payer sa nourriture, son abri, ses besoins sociaux et tout autre confort et service nécessaires
à son existence et à l'expression de lui-même et ce à un prix approprié et raisonnable
- de pouvoir bénéficier d'une éducation et d'un environnement décents et ce jusque sa majorité
- d'aimer comme il le désire, en ayant choisi, où, comment et qui et uniquement en fonction de ses désirs
et ceux de son partenaire
- de jouir de ces droits positivement et comme il l'entend, sans interdictions d'une part ni obligations d'autre
part
– pour finir, de façon à protéger sa personne, ses biens et ses droits, on devrait avoir le droit de tuer un
agresseur si cela est nécessaire. C'est l'enjeu du droit à porter une arme à feu .5


Ces droits exigent en retour certaines responsabilités. L'homme libéral qui les accepte doit pouvoir garantir ces droits à tous et tout le temps sans considérer ses intérêts et sentiments personnels. Il doit travailler à leur mise en place et leur protection, vivre d'une manière qui leurs soit appropriée et être prêt à les défendre avec sa vie. Il doit refuser tout allégeance à un état ou une organisation qui nierait ces droits; ainsi qu'il devrait apporter son aide et ses encouragements à tous ceux qui, sans équivoques ni qualification pour cela, les ont approuvés. Il doit refuser de compromettre ces principes quelque soient les raisons ou la situation. Ceci qui est ni plus ni moins un engagement assurera la survie de la liberté, ou de la démocratie elle-même au sein de la société. Non seulement le libéralisme est un code pour les individus et leurs états, mais c'est surtout la seule base possible

5 deuxième amendement de la constitution américaine d'une future civilisation

dans un perspective internationale. Pourtant, ces principes ne seront qu'une rhétorique à moins que ceux à qui ils s'appliquent ne les révèrent et ne les protègent. Il se doivent d'être interprétés et appliqués avec compréhension et compassion, avec humour et tolérance. La prétention; la sentimentalité ou l'hystérie ne sont pas requis pour les appliquer et les défendre. Les insupportables démagogues armés de leurs grands principes sont déjà assez nombreux comme ça.

On doit également comprendre qu'il nous est impossible de forcer quelqu'un à bénéficier de ses droits. Tout homme a le droit d'être un esclave si c'est son désir. S'il n'affirme pas ses droits ni ne les défend il mérite cet asservissement. La personne qui se trouve tyrannisée par sa famille, ses pairs, par l'opinion publique ou la mentalité esclave, s'il soit libre de laisser ces influences ou de la combattre, a la condition qu'il mérite. Ses protestations sont celles d'un hypocrite.

La liberté, comme la charité, commence par soi-même. Nul homme ne mérite de se battre pour la cause de la liberté à moins qu'il n'ait déjà vaincu ses besoins intérieurs. Il doit apprendre à contrôler et discipliner les passions désastreuses qui le mèneraient à la folie et à la ruine. Il doit vaincre la colère et la vanité démesurées, son dépit de lui-même, sa peur et ses inhibitions. C'est là le matériau brut de son être.

Il doit fondre ce minerai dans le feu de la vie, se forger sa propre épée, la tremper et l'aiguiser contre la substance dure et abrasive de l'existence. C'est seulement là qu'il sera à même de porter les armes dans un combat plus vaste. Il n'y a aucun substitut au courage, et la victoire est pour les grands de coeur. Il n'aura rien à faire avec l'ascétisme, ou avec les excès de faiblesse. Son mot d'ordre sera l'expression de soi même, qu'il mènera à bien avec force et conviction. La première chose qu'il doit savoir est comment se diriger lui-même.

C'est seulement à ce moment là qu'il peut faire face aux pressions économiques employées par les institutions et les entreprises ou aux pressions politiques employées par les démagogues.

Un tel homme pourrait alors connaître une situation extrêmement difficile. S'il se désigne lui-même comme libéral on supposera qu'il s'engage à une politique d'accommodation avec le gouvernement russe. S'il s'oppose à une politique pro-soviétique il est le bienvenu dans le camp de l'Église catholique ou des Associations d'ouvriers. S'il s'abstient d'appartenir à un camp ou à un autre, on le condamne pour manque de principes. S'il vient à défendre les droits des travailleurs et des minorités ou groupes raciaux, c'est un Rouge. Si en même temps il a une croyance en les droits individuels et en le gouvernement constitutionnel, c'est aussi un fasciste.

Cette situation est familière pour de nombreux libéraux, mais peu d'entre eux, semble-t-il, en ont tiré des conclusions. La difficulté majeure réside en une confusion entre les droits de l'individu par rapport à la responsabilité de l'état. Triste commentaire sur nos mentalités, de savoir que le réformiste social souscrit à une réglementation totale tandis que l'individualiste auto proclamé fait de la propagande pour une totale irresponsabilité. Les droits de l'individu peuvent se définir de façon claire. Ses responsabilités vis-à-vis de celles de l'état peuvent se définir de façon claire. Les droits de l'individu s'arrêtent là où commencent ceux d'un autre individu. C'est la fonction de l'état d'assurer à tous les mêmes droits. Seulement en l'absence d'un dévouement de la société aux véritables principes du libéralisme, ce sont les positivistes qui se sont emparés de ce nom et même de ses formules dans la propagande de leurs totalitarismes variés. Ce processus s'est vu encouragé par des factions d'un pseudo libéralisme qui croit que toute opinion contraire à la sienne se doit d'être éradiquée.
Lors même que j'écris, des groupes qui se proclament libéraux militent pour l'interdiction des forums publics de ceux qu'ils appellent des fascistes. Certaines sociétés américaines luttent pour la suppression de la littérature et de toute expression jugée rouge ou communiste. Des groupes religieux, appuyées par une presse publique consciencieuse n'ont de cesse de mener des campagnes pour prohiber tout art et toute littérature qu'ils ont qualifié, comme par une prérogative divine, d'indécents, immoraux ou dangereux.

Ils semblerait que toutes ces organisations sont vouées à une cause commune, à savoir la suppression de la liberté. Leur sincérité n'est aucunement une excuse. L'histoire est un testament sanglant qui montre à quel point la sincérité peut accomplir des atrocités que le cynisme pourrait à peine se représenter. Chacun de ces groupes est impliqué dans une lutte frénétique pour liquider, trahir ou détruire la liberté qui a permis leur existence et leur qui seule leur permet de perdurer.

La liberté est une arme à double tranchant. celui qui croit en l'absolue justesse de sa croyance est une autorité destinée à supprimer les opinions et les droits de ses prochains, et ne peut être libéral. Le libéralisme ne peut exister là où il viole ses propres principes. Il ne peut exister là où il est possible au marchand d'urgence et aux VRP de l'utopie d'obtenir une suspension des droits, que celle-ci soit provisoire ou permanente. La liberté ne peut être supprimée sous prétexte de défendre le libéralisme.

Si nous voulons accomplir la démocratie, les droits des individus et les responsabilités des états doivent être définies ouvertement et défendus ardemment. Il est inconcevable que des hommes qui ont combattus et sont morts dans une guerre contre le totalitarisme n'aient pas su pour quoi ils combattaient. Cela ne semble rien d'autre qu'une formidable blague, que les institutions qu'ils ont défendues et en lesquelles ils ont pu croire se soient transformées, comme dans un cauchemar, en tyrannies conçues maison. Toute une génération s'est éteinte dans le sang et l'agonie, mais le mal qui menace ce monde n'a toujours pas été vaincu, et fomente d'autres sacrifices de misère et de sang. La culpabilité n'en revient pas uniquement aux ploutocrates, aux démagogues, et aux marchands de guerre. Si un peuple donne son aval à l'exploitation et à la surreglementation pour quelque but que ce soit, alors celui-ci a mérité son asservissement. Le tyran ne fait pas à lui seul la tyrannie. C'est par le consentement du peuple qu'il devient possible et pas autrement.

Une grande partie de la pensée moderne qui est la nôtre se caractérise par la prétention et la fuite, par le recours aux autorités ultimes qui ne sont pas libérales, mais qui sont réactionnaires et superstitieuses. Souvent nous ne sommes pas conscients de ces processus de pensée. Nous acceptons, idées, autorités, formules d'accroches sans nous poser le problème de penser ou d'analyser celles-ci; et pourtant ces choses peuvent occulter de terribles pièges. Nous sommes bienveillants envers l'homme qui est pour le libéralisme, contre le communisme, sans faire l'effort de savoir ce pour quoi ou contre quoi il est réellement. dans cet aveuglement nous nous abandonnons à l'exploitation, la surréglementation et à la guerre.

De tumultueux développements concernant la science et la société exigent une clarté nouvelle de la pensée, un réexamen et une reformulation des principes. Il n'est pas suffisant qu'un principe soit sacré parce qu'il a la valeur de ses années. Il doit être examiné, testé et passé au crible de nos besoins actuels. Dans la législation, les liens sociaux et la diplomatie qui sont les nôtres, nous sommes coupables de myriades de barbarismes et de superstitions. Aucune civilisation véritable n'est possible sans cette liberté et aucun état, national ou international, n'est stable en son absence. La relation en elle-même entre la liberté individuelle d'une part et la responsabilité d'autre part est l'équilibre qui assure une société stable .La seule autre route vers l'équilibre social exigerait a totale annihilation de l'individualité. On ne peut plus échapper à cet ultimatum immémorial de la nature : changer, ou périr, mais c'est à nous qu'appartient le choix de changer.


Chapitre 2


De tous les pouvoirs terribles et étranges au sein desquels nous évoluons, le sexe est le plus puissant. Conçus dans l'orgasme de la naissance, nous nous projetons hors du Centre de Création dans l'agonie et l'extase. Il ne s'agit que de temps avant que nous ne retournions vers cette fontaine, que nous nous perdions dans le feu de l'être que pour un moment nous soyons unis à cette force éternelle et revenions renouvelés et rafraîchis comme par un sacrement miraculeux. Alors, enfin, notre vie se referme dans l'orgasme de la mort. Le sexe, caractérisé comme amour, est au coeur de tous les mystères, au centre de tous les secrets. C'est le splendide serpent subtil enroulé sur la croix et lové dans l'éclosion de la rose mystique.

La perversion sexuelle du Christiannisme devient évidente lorsqu'on réalise que le "Saint esprit" la Sophia, est féminin. Le tétragrammaton lui-même, yod hé vau hé, signifie Père Mère Fils Fille et affirme la splendeur de l'ordre biologique. Comment la vie pourrait-elle procéder d'une création qui serait strictement masculine? Quel plus grand miracle que celui de la copulation, la conception et la gestation? Chez un Jehova corrompu et démoniaque, la prêtrise est un blasphème à la nature, destinée à un patriarchat tyrannique et superstitieux. Avec la calomnie de l'Immaculée Conception, la femme a fait l'objet d'une insulte et d'un affront _ et puis la primauté a été placée par ces marchands de mystère sur une stérilité spirituelle et morale. Cette sublimation des besoins sexuels a été la base du pouvoir de l'église et l'origine d'une bonne part des psychoses qui sévissent dans le monde moderne.

Il a été affirmé que l'église avait été championne du progrès et de la liberté _ rien ne saurait être moins vrai le christianisme organisé a inévitablement été un allié de la tyrannie, de la persécution et des réactionnaires. Aucun dogme organisé ne peut contribuer au progrès, excepté occasionnellement et par accident. La principale contribution de l'église a été de provoquer involontairement des révoltes contre sa bigoterie. Comment pourrait-il en être autrement, avec une organisation fondée sur une double tromperie : le sexe comme péché et l'infaillibilité humaine. Aucune religion ne peut espérer être bénéfique pour l'humanité lors qu'elle prêche l'amour en avilissant les racines de l'amour. Quiconque espère comprendre et faire avec les relations humaines doit comprendre l'importance du sexe, le fait qu'il soit surestimé ainsi que l'importance qui lui est conférée dans la société.

Le symbolisme sexuel et ses concepts sous-tendent toute religion qui soit au monde. Comme je l'ai déjà évoqué, c'est la sublimation sexuelle qui est la source du pouvoir des églises du Christianisme. Le sexe et ses névroses sont des facteurs fondamentaux dans l'attitude de l'homme moderne. De ces trois choses, il s'ensuit que le sexe a une place de première importance dans notre examen libéral de la société.

Nos attitudes sexuelles se caractérisent largement par les prétentions ou les prétextes. Une majorité des moins de cinquante ans a déjà connu à un moment ou à un autre, ce qu'on appelle des rapports illicites _ pourtant publiquement nous prétendons ne jamais l'avoir fait. Certains d'entre nous vont même jusqu'à affirmer que nous ne le faisons pas, ne le ferions jamais et désapprouvons les criminels du genre à faire ça. Les policiers qui arrêtent ceux qu'on découvre, les juges qui les poursuivent sont les mêmes qui s'y adonnent. Jouir d'un besoin naturel est défini comme crime. les jeunes qui le font dans l'émerveillement des commencements sont accablés par les sentiments de culpabilité et de honte. On les catégorise comme le commun des criminels _ pour quelle raison?

La réponse, toute empreinte de honte est qu'avant, au Moyen Âge, en des temps sordides d'ignorance, d'oppression et de superstitions, le tabou sexuel est devenu l'un des principaux instruments de l'arsenal d'une bande de brigands connue sous le nom d'Église chrétienne. C'est la raison pour laquelle on catégorise les gens amoureux comme des criminels. Les maladies vénériennes abondent, et résultat inévitable,les avortements prospèrent. La superstition qui a nourri cette condition de honte n'est absolument plus dominante à l'heure actuelle, mais l'institution qui a pu promouvoir la croyance que le corps humain était obscène, l'amour, indécent et la femme, souillée par le péché originel continue à modeler nos pensées et à donner forme aux lois. Il est tout-à-fait significatif que les héritiers spirituels ou physiques de l'église catholique et aussi de l'église protestante, s'oppose vigoureusement et activement aux pratiques de contraception, à la prévention des maladies vénériennes, aux réformes des lois sur le divorce; c'est-à-dire à tout ce qui serait à même d'être une limite au pouvoir de leur arme.

Si ce n'était que parmi leurs croyants que les chrétiens avaient mis en place ces tabous ce serait encore leur droit. Tout homme a le droit à sa stupidité personnelle aussi monstrueuse puisse-t-elle paraître; mais là n'est pas leur préoccupation principale. Ils cherchent à imposer leurs absurdités à tout le monde et par tous les moyens d'intimidations légale, morale et économique dont ils disposent. Le succès de leurs efforts, on peut en juger de par les reflets de telles attitudes dans la presse, la radio, l'industrie du cinéma et les statuts de nos lois. En vrai fasciste le censeur instrumentalise sa victoire morale de façon à imposer une censure politique et économique dans tous les autres domaines. Les démagogues et les bigots invoquent le droit divin de la religion et de la moralité pour obtenir un pouvoir extraordinaire. La liberté religieuse et la liberté de la presse ne devraient pas permettre de justifier de gigantesques campagnes de propagandes destinées à supprimer la liberté. Non seulement nous nous devons d'avoir la liberté religieuse, mais aussi la liberté vis-à-vis de la religion.

L'idée que le sexe dans l'art, la littérature et dans la vie soient objet de crime aux yeux de la loi, repose intégralement sur cette superstition du tabou sexuel. Le pouvoir de censure de l'église, de l'état et des grands organes de presse n'est fondée que sur cette seule supposition: le tabou d'une religion en particulier devrait donner lieu à une sanction légale universelle. Une fois cette sanction établie, ce qu'elle implique s'étend subtilement à ce que chacun des autres dogmes de cette religion représente la loi non-écrite du pays. Une telle religion, toujours conservatrice et respectable, forme des alliances avec les cliques fascistes et capitalistes, obtenant ainsi une position privilégiée à partir de laquelle le libéralisme sous toutes ses formes est persécuté. La superstition, les tabous, la réaction et le fascisme forment un système qui s'auto-alimente très efficacement. Et le fait que chacun des totalitarismes persécute l'autre _ du moins à ce qu'il semble _ pallie à peine à cela.

L'homme moderne doit admettre la source et la nature de ses tabous sexuels et les discréditer à la lumière du vrai. C'est seulement là que sa sexualité sera saine et qu'il aura un regard sain sur la vie en général.

Dans notre société les considérations économiques sont un frein pour les mariages précoces, c'est pourquoi les relations sexuelles avant le mariages sont naturelles et souvent désirables. La contraception, disponibles chez un pharmacien ou un docteur par n'importe quel jeune personne douée d'un peu d'intelligence, peut minimiser le problème des maladies vénériennes ou de grossesses non désirée. Développer la technique sexuelle, Déterminer les aptitudes de son partenaire et laisser les jeunes remplir leur besoin d'expérimenter ce qu'ils veulent, tout cela assure une durée et une stabilité du mariage, vis-à-vis de celui débuté dans l'ignorance et la pruderie. Dans le mariage lui-même le contrat social est respecté. La propriété acquise conjointement par les efforts du mari et de la femme appartient aux deux en même temps. Si deux personnes se sont prêtées serment de leur amour, aucun élément extérieur n'a le doit d'interférer. Il serait justifié que l'une ou l'autre des parties résiste à toute intrusion par la force si cela est nécessaire. Mais, que la relation soit le fait d'un mariage ou non, aucune des partie n'a de droit ou de juridiction sur l'amour, l'affection ou les faveurs sexuelles de l'autre si celui-ci ne le désire pas.

Lorsqu'il y a des enfants la séparation pose de sérieux problèmes. Les foyers brisés sont difficiles à vivre pour les enfants mais un foyer dénué d'amour et de douceur est encore pire. Il n'est en le pouvoir d'aucun état de garantir à un enfant l'affection de ses parents, mais il peut assurer sa sécurité et son intégrité physique, le protégeant ainsi durablement contre nombre des frustrations de l'enfance et de l'adolescence qui seraient à même de se transformer en comportements adultes instables et inadaptés. Les lois contre l'union sexuelle librement et mutuellement consentie doivent être abrogées, en même temps que celles qui interdisent le nudisme, le contrôle des naissances et la censure. Nous devons catégoriquement refuser d'admettre que l'amour serait criminel et le corps humain, indécent. Nous devons affirmer la beauté, la dignité, la joie et même l'humour du sexe.

Certaines choses en effet sont obscènes dans la lumière ou les ombres ; des choses qui ne méritent que la destruction _ l'exploitation des femmes pour des salaires misérables, les humiliations dégradantes infligée aux minorités par une petite bande de salauds qui se présentent comme des "membres de la race supérieure", et une machination délibérée vers la guerre. Dans ces obscénités véritables il n'est aucune place pour l'amour partagé par les hommes et les femmes. Il y a des pêchés mais l'amour n'en est pas un, et pourtant, de tout ce qui a été désigné comme tel, l'amour est ce qui est le plus persécuté et le plus puni. De toutes les beautés que l'on connaît, le printemps de l'amour est l'une des plus proches du paradis. Et comme tout passe, l'amour finit par passer aussi _ trop vite. L'émotion humaine la plus exquise et la plus tendre, ce petit moment d'éternité, devrait être libre et non restreint. Il ne devrait pas être acheté ni vendu, enchainé ou limité au point que les amants, pris dans le maelström des contraintes économiques et législatives, soient pourchassés comme des criminels. Quelle fin remplit une telle cruauté et à qui cela profite-t-il? Uniquement aux prêtres et aux avocats. Adhérons à une moralité stricte qui se préoccupe des droits et du bonheur des gens. Appelons-les par leurs noms, nos vrais péchés, et expions-les comme il se doit; mais laissons les amants libres.

Si l'on veut parvenir à une civilisation saine, il faut instituer un programme d'éducation à l'amour, d'éducation à la contraception et au contrôle des naissances. Nous devons avant tout déraciner le principe vicieux et barbare de honte et d'indécence relatives au sexe, en exposant et expliquant les motifs et les méthodes de ses partisans.

Heureux sont les parents, qui ayant eu les expériences sexuelles qu'ils voulaient, s'entendent très bien, prennent chacun de la joie à la passion de l'autre, voyant dans leur nudité la beauté et ne craignant pas de se montrer leurs corps ou de montrer le corps des enfants. Jamais n'inculqueraient-ils la honte aux enfant concernant leur curiosité sexuelle naturelle.

Jésus parla ainsi à la "femme déchue" : "Va et ne pêche plus." Mais moi, qui suis un homme, je vous dis à vous qui avez livré vos corps aux besoins des hommes, qui avez livré votre amour à son esprit : "Sois bénie au nom de l'homme. Et si un dieu te refusait pour cela, je refuserais ce dieu."

Vivant simplement et sans péché originel, les Anciens ont vu la déité dans l'acte d'amour, et c'est ainsi qu'ils ont vu un grand mystère, un sacrement qui révélait la générosité et la beauté de la force qui a fait l'homme et les étoiles. Telle était leur vénération. Pauvres païens vieux et ignorants! Comme nous avons progressé! Ce qui était pour eux le plus sacré nous le voyons nous comme une sale plaisanterie. De ce sordide tour que nous nous sommes joués à nous-mêmes, seul la Femmes elle-même peut nous en sortir. Elle qui a été visée par cet ignoble canular, elle qui a été la cible de la malice et de l'arrogance, et le bouc émissaire de la culpabilité masculine et ses infériorités. elle seule peut nous sauver de nos crucifixions et nos castrations. Seule la femme, qui est elle-même pour elle-même, peut couper court aux frustrations malades des idéaux des publicitaires. Elle doit s'élever dans la splendeur de son image de force et de liberté, gagner sa place au soleil en tant qu'individu, amie et compagnon approprié, et ne demandant rien de moins que des hommes vrais.

Mettons fin aux inhibitions et à la prétention. Découvrons ce que nous sommes et vivons-le, honnêtement et sans honte. Le lapin a la vitesse pour compenser à sa peur, la panthère a sa force pour assagir sa faim. Il y a de la place pour les deux, même si sans doute le lapin préfèrerait-il un monde de lapins, terne et surpeuplé.
Tous les sentiments sont utiles, la colère, la peur, l'envie et même la paresse_ s'ils sont équilibrés par l'habileté et l'intelligence. C'est en nous mentant à nous-même qu'en appelant nos péchés et nos faiblesses nous disons que c'est mal et que c'est mauvais, en refusant d'admettre que ces fautes pourraient faire partie de nous, alors ils agissent dans l'ombre. Mais au moment où on les a reconnus ouvertement, en les admettant, en les acceptant et en s'y confrontant; alors ce dont vous avez honte, c'est de laisser un secret vestige de ces tendances vous assaillir et vous déstabiliser . Dans l'adversité la peur a le pouvoir de venir aiguiser la sagesse. La colère et la force peuvent être fondues en une épée contre les tyrannies, extérieures ou intérieures. On peut entraîner le désir à servir l'amour et l'art par sa force et sa subtilité.

Il n'est pas nécessaire de nier quoi que ce soit, mais il est nécessaire de nous connaître nous-mêmes. Nous rechercherons ensuite de façon naturelle ce qui est nécessaire à notre être. Notre sens profond ne repose pas sur la façon dont nous ressemblons ou différons des autres. Il repose sur notre faculté d'être nous-mêmes. Ce pourrait être l'objet de toute la vie, de nous découvrir nous même, de découvrir notre sens. Cela n'arrive pas dans une soudaine explosion d'illumination, mais par un processus continuel et constant qui dure aussi longtemps que nous sommes vraiment en vie. Ce processus se développe librement si nous sommes capables de vivre toutes les expériences et déterminés à participer à l'existence dans son ensemble. Alors ce qui est important n'est pas de savoir " est-ce que c'est bien?" ou "est-ce que c'est mal?", mais " qu'est-ce que ça me fait ressentir?", "quel sens ça a?" Ce sont finalement les seules questions qui peuvent approcher de la vérité mais on ne peut pas les poser en l'absence de liberté.

Ces questions furent un jour murmurées à l'ombre du bûcher. Aujourd'hui ce n'est plus la sanction qu'ont pu utiliser les églises chrétiennes en tant qu'instrument de conversion, mais les manipulations et la malveillance demeurent et continueront jusqu'à ce que soit brisé le pouvoir des marchands de superstition. Parallèlement le dogmatisme religieux continue à encourager les jalousies sexuelle de parents névrosés pour leurs enfants et les mariages entre conjoints névrosés. Ce n'est pas juste le désespoir économique et la misère qui soumettent le monde aux assauts du crime et la guerre, qui vont toujours s'amplifiant. Il suffit simplement de se souvenir du Moyen Age, des temps où la danse de saint Guy, les flagellations et les persécutions pour sorcellerie qui toutes se sont écloses de la culpabilité et de la honte chrétiennes et ont balayé le monde occidental. C'était là le ton que donnaient ces évènements effroyables, en renforçant ainsi le droit divin des monarques réactionnaires, ceux-là même qui ont produit les révolutions libérales du 18ème siècle. Mais la racine, le tabou sexuel, n'avait pas été détruite. Il s'est perpétué en revitalisant le pouvoir de la religion dans la nouvelle bourgeoisie.

La haine frénétique des "juifs " et des "nègres" ( symboles de liberté sexuelle illicite) et l'attrait pour la guerre et ses bains de feu et de sang, montrent bien les aberrations même provoquées par la frustration sexuelle. Ce sont les cauchemars des âmes dans l'enfer de la culpabilité, s'acharnant comme des aliénés sur leurs instruments de destruction en vue de détruire le monde qui s'est opposé à leur satisfaction. Il ne sera possible d'élaborer des relations sociales évoluées qu'en laissant l'exercice de la fonction sexuelle libre de contrainte par une génération formée dès la jeunesse aux techniques de l'amour et à la contraception.

Dans ce délire puérile de possession sexuelle, chacun, homme ou femme, hait et craint tout autre homme ou toute autre femme en tant que menace potentielle ou ironie des spectres immanents de jalousie et de suspicion. Il est possible que l'application des deux vieux axiomes " d'aimer son prochain" et de " faire à l'autre ce que vous voudriez qu'il vous fasse" peuvent amplement nous aider à résoudre les problèmes sexuels. Appliquer ces maximes dans la sexualité est facile et agréable. Si ces principes sont fortement ancrés ils peuvent rayonner dans d'autres domaines des relations humaines. La révolution sexuelle ne produira aucun paradis immédiat et ne pourra se produire sans larmes. La route qui fera changer les discriminations raciales est longue et douloureuse mais il est au moins possible d'atteindre cette richesse et cette maturité accompagnant une expression sexuelle entière et satisfaisante dans la vie privée. Il se peut qu'au fil des années ce soient d'autres considérations qui deviennent plus importantes, mais il me serait impossible de me dire avec certitude à quel âge cela arrive. Il ne semble pas possible de pouvoir vieillir avec grâce si l'on a pas connu une jeunesse pleine de grâce.



Chapitre 3

Il n'existe aucune preuve qui pourrait montrer que l'homme et tout son attirail aient été créés pour servir à Dieu de vice-régent sur Terre. Il n'y a aucune raison de croire que l'homme est ou ait été par nature gentil et bon, sage et courageux . Beaucoup de choses montrent au contraire qu'il a été une bête sauvage ayant emprunté une route étrange dans la jungle et qui errait assez maladroitement dans un monde mental dans lequel il n'était certainement pas chez lui.

Tout nous prouve que l'homme par nature est cruel, lâche, envieux, radin et traître. Il doit veiller sur l'espace de ces terribles ennemis intérieurs et se défendre contre les autres prédateurs (les autres hommes) par la vertu desa férocité, sa ruse et sa volonté indomptable. Là il y a sa beauté et son sens : à partir des forces primordiales
du sexe et de l'instinct de survie, il a forgé la raison et la science, en tissant des réseaux d'amour et d'art pleins de splendeur. S'il n'existe aucune autre raison et aucun autre sens, l'homme a pu créer d'autres sens et d'autres raisons en se positionnant sur l'artisan de ses dieux dans un jardin rendu fructifère par son propre pouvoir de création.

Dans la façon dont nous pensons, il y a nous-même relativement à l'univers extérieur. On ne peut cependant pas démontrer que l'univers extérieur est autre chose qu'une extension de notre propre perception. Mais même si nous distinguons ce qui est interne de ce qui est externe, nous faisons nous-mêmes partie de ce processus de la nature dans son ensemble. Nous sommes fait de la nova et partant du soleil nous nous sommes construits dans l'air, le roc et la mer, animés par le feu primordial de la vie. Dans notre conscience il y a des filaments qui remontent à l'ancêtre premier et s'étendent jusque tous les autres hommes, et tout le reste de la vie avec laquelle nous partageons une origine et une destinée communes.

Là est la totalité que les grecs appelaient "PAN", qui dévore tout, qui engendre tout - la vie et la mort, le bien et le mal, la douleur et le plaisir, l'unité, la dualité et la multiplicité toutes choses et au delà de toutes choses. Âme de la Nuit et des Étoiles.

Si par nos peurs et nos folies nous assignons des qualités morales à la lumière qui jaillit, à l'étoile qui brille, au tigre qui tue, et alors ensuite nous n'hésiterons pas à les associer à la femme qui donne, et à l'homme qui prend. Ayant défini dieu nous aurons fondé une religion. C'est alors l'univers vivant que nous dégradons, soit en le rendant un personnage barbu et irascible, doué d'immortalité et d'omnipotence et d'une haine pour nos ennemis, soit comme ces amoureux de la nature qui attrapent des rhumes en communiant avec le "tout" la nuit dans les parcs, on plonge dans le bain fumeux de différents systèmes de " science religieuse", en route vers la catalepsie du Moyen Âge.

Toute la Nature participe des sacrements éternels de la vie et de la mort, de flux et de reflux, de création, destruction, et de régénération. Là sont les harmonies de l'éternité, en perpétuelles transformations et pourtant toujours les mêmes. Le cri du bébé est écho du tumulte de la nova. Hommes soleils et saisons s'éteignent pour reparaître à nouveau. Le jaillissement de semence ne fait qu'un avec ce jet d'étoile connue sous le nom de voie lactée.

L'esprit qui comprend ces processus immortels dans l'amour et dans le rituel est un esprit immortel qui s'élance au delà du temps et de la mort. Notre ère ne fait qu'une avec celles d'Eschyle et Sophocle et celle de Shakespeare, notre sang ne fait qu'un avec celui de Moïse, Lao Tseu et Newton. Le corps change et décline, alors que le temps cocufie toutes les formes du désir ainsi que toute chose éphémère. Mais toutes éphémères qu'elles soient, les formes du désir sont le véhicule même de l'aventure de l'homme. L'homme ne peut s'accomplir en les niant, mais en les fortifiant - en les entrainant et en les bridant, avec l'amour et la volonté créatrice, jusqu'à ce que leurs ailes se révèlent. Le sexe et la faim sont le matériel brut de l'art. A partir de sa passion, sa fureur et son désespoir l'artiste transmute la terreur et l'émerveillement en beauté éternelle.

Toutes les voies sont les bonnes lorsque l'amour et la volonté sont les guides. La générosité et la grâce de la vie sont libres pour tous ,saints ou pécheurs, si c'est leur désir. La voix du vent, l'âme poignante de la musique, le cri du tonnerre, tous s'expriment dans appel à l'homme, en le défiant de se connaître lui-même. La lumière du soleil, la mer, les étoiles et la splendeur d'une femme nue , tous sont les signes et témoins d'une alliance qui existe pour toujours. Nous savons ces choses, nous les savons avec la seule certitude qui nous est donnée. C'est la connaissance, belle et pitoyable, de l'enfance et de la première jeunesse _ que le monde nie et que la nécessité met en échec. C'est la connaissance des poètes, artistes et chanteurs, que l'humanité adore et met au ban, ainsi que celle des mystiques que le monde appelle "fous".

Et l'homme, dans son auto-castration et son auto-frustration, qui s'enfuit à travers les corridors du cauchemard, poursuivi par des machines monstrueuses, dépassées par des pouvoirs sataniques, hanté par de vagues culpabilité et par la terreur - tous conçus par sa propre imagination. Il s'échappe dans l'absurdité, noie son esprit dans la prétention, voue un culte à des dieux de pouvoir en cuivre et des dieux de succès en étain. Puis, honteux de sa prétentieux et frustrés de ce déni de lui-même, il projette cette horreur qui le traverse sur des ennemis imaginaires; cela le soulage de chercher des bouc émissaires et de faux problèmes, ce qui est comme une auspice à ces dieux de bestialité qui sont apparus à partir des eidolons dévastés de son esprit lors des sacrifices de sang.

Rien n'est par nature mauvais - et rien par nature n'est bon. Le mal est juste de l'excès: le bon est simplement l'équilibre. Tout peut faire l'objet d'abus et de la même façon tout est susceptible de trouver une utilité. L'équilibre ne se trouve pas dans le déni ni dans l'adhésion à ces excès. L'équilibre ne peut être atteint que par l'excès. Les forces élémentales en la nature humaines sont si gigantesques, qu'elles ne s'équilibrent qu'au travers d'une expression ultime d'elle-mêmes. Placer des limitations et des restrictions à cette nature c'est comme construire un mur de plâtre autour du soleil : ce n'est pas en attachant les aigles d'un aigle ou en nourrissant un lion de carottes que l'on améliorera l'une ou l'autre espèce.

L'objectif fondamental des religions est de parvenir à une identification complète avec un pouvoir que nous croyons plus grand que nous-mêmes, dont nous pouvons partager l'omnipotence et l'immortalité. Ayant parachevé d'une façon ou d'une autre cette identité, on sent alors qu'on a plus de confiance pour gérer les problèmes et parvenir à nos fins. Cette dépendance à la religion de même que la dépendance à la propriété peut être symptomatique d'un défaut de dépendance à nôtre être même.

C'est nous-mêmes qui créons ce "Dieu de Pouvoir". C'est de notre Soi individuel que l'on tire ce pouvoir, et ce Soi est plus grand que n'importe quel des dieux qu'il a créés. C'est pourquoi se connaître soi-même est la plus haute forme de sagesse, et croire en soi-même est la plus haute forme de foi. La science qui cherche à savoir
et l'art qui cherche à interpréter sont les deux formes d'amours qui constituent les seuls moyens valables de culte. Que les expressions les plus grandioses de l'esprit humain, doivent être asservies à la religion,à la politique, au nationalisme et à la guerre, c'est là le blasphème en définitive.

Nous sommes au milieu d'une immense bataille de forces, dont l'enjeu est la domination des consciences et de l'esprit humains. Malheureusement ce n'est pas une bataille contre le bien et le mal, contre la liberté et la tyrannie, mais c'est plutôt une lutte de dogme contre dogme, et autorité contre autorité. Les protagonistes en sont le fascisme et le communisme. Chacune de ces doctrines est étrangère et hostile à l'idée de liberté. Chacune nous demande de choisir l'une ou l'autre alors que les deux sont en réalité identiques. Chacune exige l'asservissement absolu de l'individu, l'aliénation de l'intellect, et la subjugation de la volonté. L'autoritaire a raison, absolument raison, tellement raison que tout fait extrême de fausseté, de répression et de tyrannie se justifie par l'accomplissement de ses finalités "divines". Derrière son paternalisme bienveillant, se profilent les chambres à gaz et les camps de concentration; derrière sa moralité se dresse le bûcher de l'inquisition de la "religion de l'ancien temps", tant de gens ont professé d'y assister. Tous ces systèmes sont vieux; plus vieux que l'histoire humaine. Tout ce qui est nouveau sous le soleil c'est la liberté et la démocratie; qui outragent aussi bien les esclaves que leurs maîtres.

"Viens à moi" rengaine la vieille courtisane, " Venez à moi vous qui êtes las et dont la charge est si lourde, abandonnez votre intolérable fardeau de liberté, et je remplirai vos bouches par miracles, et vos ventres seront pleins à satiété. Venez avec moi et je confondrai vos ennemis, et je vous montrerai le paradis. Tenez, vous n'avez même pas à changer de nom, gardez juste la forme en reniant le fond, la lettre au détriment de l'esprit car de la lettre fut donnée la vie..."

Elle moissonne sur les nations désormais, cette vielle prostituée, et attend un rendez vous en un lieu appelé Armaggeddon. Les hommes libres seront pourchassés au nom de la liberté, et il y aura des prisons et des pogroms au nom de la démocratie, des meurtres et de l'esclavage au nom de la fraternité, et ce, pour l'enjeu de la domination sur les esprits et les corps des hommes.

Il existe un choix: le choix de la liberté, qui n'a aucun autre nom et aucune autre cause. l'homme, libéré de ses démons, sans la nécessité d'un dogme ou l'utilité d'une croyance, connaître le profit le triomphe et construire un sens. C'est la foi d'un homme libéral : croire en soi-même et croire en l'homme. il n'est aucune autre voie pour parvenir à la stature humaine dans son intégrité. C'est la voie longue et difficile, jonchée de procès, d'erreur et de fautes, de coeurs qui se brisent _-mais cette voie est guidée par la science et inspirée par l'art, qui longuement, à son terme, mène aux étoiles. Il s'agit de notre choix: il nous est accessible de croire en nous-mêmes, en d'autres hommes, et en la liberté et en la fraternité. Nous pouvons commencer à réaliser ici et maintenant ce paradis qui a si longtemps été relégué à l'outre vie. Ou bien, avec les dogmatiques, les positivistes et les autoritaristes, nous pouvons retourner à l'âge des singes à partir duquel nous nous sommes élevés.

Si nous souhaitons nous identifier avec un pouvoir plus grand, cherchons le dans l'union avec soi-même, avec un soi total, amené à ses possibilités de sagesse, de connaissance et d'expérience les plus grandes. Si nous souhaitons nous unir avec l'univers, bravons alors l'ensemble de la nature, tout le champ de l'expérience, toute la vérité et la splendeur du sublime cosmos lui-même. Car là-bas réside la grande campagne qui vient au début jusque la fin, l'ultime aventure de l'individu vers lui-même. Comme Moise il doit descendre vers son soi inconnu, au dehors dans une dimension nouvelle, au dehors avec Orphée et la barque d'Orphée, avec Tammuz et Adonie, avec Mithra et Jésus, dans le labyrinthe du Pays Sombre. Là il va rencontrer La Mère et entendre Sa question ultime " Qu'est-ce que c'est que l'Homme?" Ensuite, son coeur proche de la Mère cryptique, il pourra trouver le Graal, conscience ultime, souvenir total, instinct rendu certain, raison réalisée. Car c'est lui, monstre merveilleux, dieu embryon qui a nagé avec le poisson, mué avec le crocodile, scruté avec les yeux du serpent et nagé avec les singes, et fait trembler la terre avec le pas lourds d'un sabot de tyrannosaure. C'est lui qui s'est écrié sur toutes les croix, qui a regné sur tous les trônes, grouillé dans tous les caniveaux. C'est lui dont le visage se reflète et se distord dans tous les cieux et tous les enfers _ lui, l'enfant des étoiles, le fils de l'océan, la créature de poussière, cette merveille terrible qu'est L'HOMME.



Chapitre 4 : la Femme sanglée d'une épée


C'est à toi, ô femme, belle rédemptrice de la race humaine, que j'adresse ce chapitre. Ce qui se produit en toi maintenant n'est pas la folie, pas le péché, ni la déraison _ mais la vie! Cette nouvelle vie est la joie et le feu qui engendrera une race nouvelle, qui créera un Eden et une terre neufs. Quand tu étais enfant, n'as-tu pas entendu le soleil et le vent te parler? N'as-tu pas entendu la voix de la montagne, la voix de la rivière et celle de l'éclair? N'as-tu pas entendu le murmure des étoiles et la voix ineffable du silence? N'es-tu pas allée nue dans
la forêt, et senti le vent sur ton corps et la caresse de Pan? Ton coeur a grandi avec le printemps, s'est épanoui dans l'été est a connu la tristesse avec l'hiver. Ces choses sont l'harmonie et en elles réside ce qui reste éternellement vrai.
Toi qui a cherché des compagnons dont le coeur était aussi haut que le tien, tu ne les as pas trouvés, sauf dans des songes et de vagues chansons. A travers du monde tu as trouvé un fléau, un fléau de silence et de tristesse. Tes compagnons ont marché dans la culpabilité et la honte, dans la peur, la haine dans le péché et dans la tristesse du péché. Ce n'était que plaisir furtif et rires nerveux, honteux et insatisfaisant _ Mais ne sois plus triste, mon aimée. Sois remplie de joie et sans craintes, car en toi est le chant qui saura rompre le silence, la flamme qui consumera les déchets.

C'est toi qui es rédemptrice du chagrin et du péché, de la culpabilité et de la honte. FEMME, ô splendeur incarnée! Combien de temps as-tu pu servir dans les fers, esclave des désirs coupables des porcs? Combien de temps as-tu frémi de l'avilissement de ton nom sacré, "Putain" et souffert en silence de cette humiliation appelée "vertu"? Comme tu les as bien connus, les bûchers, les tenailles, le fouet, les chaines qui t'ont emprisonnée et même la tombe, au service de ton maître.

Et le lien, était-ce de la peur, était-ce de la faiblesse, de la lâcheté ou de l'infériorité? Oh, honte à l'homme, ce n'était rien de cela : c'était l'amour. Un homme fut un jour crucifié dans une rédemption qui a échoué, et si pourtant on faisait dix mille autres crucifixions l'infamie ne pourrait connaitre la rédemption. Mari, père, prêtre, gardien de cellule, juge, tortionnaire, exploiteur, séducteur, destructeur _ ainsi ton amant est devenu ton maître et t'as souillée. Pitié pourtant pour lui car c'est l'amour qu'il cherchait. Mais pour finir il y a un terme et puis un commencement, et il y a le futur qui sera tout entier avec toi. Car tu es la Mère d'une race neuve, rédemptrice et amante d'hommes nouveaux, ceux qui seront libres.

Je vais te parler des hommes. les hommes désirent d'une femme trois choses : une mère qui est plus qu'eux mêmes, une femme qui est moins qu'eux-mêmes et une amante qui soit leur égale. Contre la mère ils sont en révolte; envers leurs femmes ils ont du mépris et même leur amante leur échappe. Considère le mari, vois comme il laisse traîner ses habits partout, la vaisselle sale et comme il s'abstient de tout travail ménager, tout en s'affirmant d'une forte voix. Considère l'homosexuel, sa haine de la femme et comme il se fuit lui-même de peur de la tuer. Considère le grand amant, comme il se saisit de l'amour, ses mains proches du néant. Ce sont tous des enfants qui dans leurs peurs et leur stupeur inventent des jeux contre l'obscur. Et ceux qui portent du cuivre et des épées, pour parader et pour massacrer, est-ce que ce n'est pas eux qui ont le plus peur? Pour cela aies pitié d'eux et pardonne leur.

Dans l'ancien monde il y eut à une certaine époque des hommes, avant que ne progressent les villes et qu'ils deviennent des freluquets pleins de culpabilité. Puis vint le Christianisme, un baume pour les esclaves, un entérique pour les barbares dont les actes leurs donnaient même envie de vomir _ et finalement, un fouet pour les maîtres.

Faust a été le prototype du Moyen Âge, mais Faust - pas celui dont nous parle Kit Marlowe. C'est un Faust plus obscur, Gilles de Rais qui trahit la Servante dans sa soif de pouvoir et ensuite, après sa chute et l'échec de ses prières, descend dans l'horreur de la cave. Ce motif a duré une époque jusqu'à ce que l'homme, horrifié par ses cauchemards, se tourne vers un rêve de liberté.

C'est la voix d'un Voltaire, cynique et blasée, lasse de sa folie, qui ouvre les festivités d'un immense prélude de moquerie. Tom Paine, un vrai homme, brisé et finalement trahi par tous les champions de bois, Cagliostro, qui fomente la vengeance des Templiers avec une femme et un collier, Will Blake, qui parle sans être compris la langue des anges, Shelley et sa belle gestuelle, Swynburne qui est presque parvenu à recréer Hela avant d'être trop brisé pour cela _ Byron, Pushkine, Gautier, tous instruments du prélude à une symphonie jamais encore jouée. Et la Science! Comme elle devait nous sauver! Ce "Meilleur des Mondes" de Huxley, Darwin et H.G.Wells avec pour seule dissension la voix de Spengler. La science, langage international qui refait le monde, fraternité universelle qui transcende les nationalités, les préjugés et les croyances... Une belle vision qui s'est effondrée comme un château de cartes. Vous, créateurs d'une "Ère nouvelle", qui n'osez pas parler, penser et bouger sans une permission militaire, vous titans enchainés qui sanctionneriez un écart de langage par une pendaison _ où est votre "nouveau monde?" 6 Champions, où est votre liberté? Quel trésor avons-nous perdu? Pour y répondre nous devons nous tourner vers la femme.

La clef se trouve quelque part il y a dix mille ans, lors de l'ère d'Isis qui fut appelée par erreur Matriarchat. Ce n'est pas un matriarchat tel qu'on pourrait le concevoir, le règne d'un club féminin, de poules frustrées, en fait ce n'était pas du tout un règne, mais c'était une égalité de fait.

La Femme était et demeure la Prétresse. En elle sommeille le Mystère. C'est la Mère, qui couve avec tendresse, l'amante, à la fois distante et passionnée, la femme, révérée et chérie. C'est la femme sorcière. Elle arrive à égalité avec sa compagne qui est la cheftaine, la chasseresse, à la fois sage et l'artisan. La Femme est la prétresse, gardienne du Mystère, sybille de l'inconscient et prophétesse des rêves. Ils s'équilibraient mutuellement jusqu'à ce que survienne la catastrophe du Patriarchat, dont la figure archétypale est le monstre monosexué Jéhova. Des lors, sous la pouvoir des prêtres, les femmes sont devenues comme des animaux inférieures tandis que l'homme s'est isolé dans une supériorité imaginaire, et s'est retrouvé à la merci de sa propre intelligence qui est sans pitié. C'était la guerre totale entre les émotions qui obligent et l'intellect qui s'y refuse. Toute religion patriarcale est un monstre de contradiction. Certains dogmes dérivent comme de la paille
6 référence au titre anglais d'Huxley Le Meilleur des Mondes

dans le vent de l'intellect. Sur ces structures instables l'homme a échoué. Il connait la futilité de ces systèmes si artificiels, mais il se bat pour eux avec toute la fureur malade que sa frustration peut engendrer. Par ce procédé il a perdu sa mère, sa femme l'a trompé et sa maitresse l'évite. Le Mystère est sorti du Temple, banni par un concile de barbus, sénile et auto-suffisant.

Femme, femme _ où est-tu? reviens-nous à nouveau. Pardonne, même si tu ne peux pas pardonner et sers à nouveau dans nos Temples. Prend-nous par la main. Embrasse-nous sur la bouche et dis-nous que nous ne sommes pas seuls. Femme sorcière, relève-toi des cendres du bûcher! La voie des anciens poursuivait un culte dianique. Ces femmes splendides et terrifiantes, Messaline, Tofana, La Voisin et de Brinvillies ont élevé la vengeance à un art de haut rang. D'autres ont recherché le mystère interdit dans des rites secrets, et acheté une union brève à un prix d'horreur. C'était l'espoir de la pucelle d'Orléans, le rêve de millions de désespérés que cette femme qui devait leur apporter la rédemption était enfin venue. Son échec et son destin fatal nous apprennent que l'innocence n'est pas une protection. Sois rusée, ô femme, sois pleine de sagesse et de subtilité, sois sans pitié! je t'ai demandé de comprendre et de pardonner _ mais n' oublie pas pour autant. N'aie confiance qu'en toi-même.

Je viens d'évoquer ces grandes empoisonneuses, une vengeance est pire que cela. Sache que toute vengeance est aussi vengeance sur soi; la plus terrible est celle dont se charge la femme frigide. Comptez dans les dix millions. La malédiction vient de l'échec de leur compagnon à être un homme, et dans son échec à être soi-même, mais la cause en est l'obscure culpabilité avec laquelle les parents empoisonnent leurs enfants. Il y a aussi l'amour incestueux réprimé et la peur des enfants non-désirés _ et pourtant ceux qui ont connu réellement ces choses ne devraient en avoir aucune honte. La force ne naît pas d'elle-même, elle s'acquière
par la compréhension et en surmontant des obstacles. Va librement: chante le vieux chant, le chant sauvage :

EVOE IO, EVOE BACHHUS
io pan , pan ! evoe babalon !


Va dans les montagnes dans la forêt, va nue dans l'Été, que tu puisse gagner à nouveau l'antique joie. Aime sous les étoiles avec bonheur et liberté. Mais, tu dis que ton corps n'est pas beau? Voici un secret: c'est l'esprit qui modèle le corps. Si la haine, l'oppression et la peur t'ont embrassé, alors tu pourrais trouver ton corps repoussant. Mais va librement, aime dans la joie et sans restrictions. Cours nue et regarde la rougeur des joues, le puits des seins, et les souples contours se développer des rythmes flottants de la vie. C'est la peur et la haine qui nourrissent la maladie et les difformités, c'est pourquoi soyez des amants sans peurs et n'en soyez que plus beaux.

La Femme est la Prétresse du Monde Irrationnel! Irrationnel, mais terriblement important et ô combien dangereux d'autant plus qu'on le renie et qu'on rejette son existence, et on ne veut pas être ivres, meurtriers, frustrés, atteints par la misère et la pauvreté sans qu'il y ait une cause. Ces conditions ne sont pas raisonnables ou scientifiques et pourtant elles existent. Nous disons que nous ne voulons pas la guerre mais la guerre semble être une nécessité psychologique. Les guerres se poursuivront aussi longtemps que ce besoin ne trouvera pas d'autre façon de s'assouvir. Ce n'est pas parce que ce serait "raisonnable" que nous aimons ou
détestons quelqu'un. Nos émotions se produisent bon gré mal gré, en dépit de notre raison et de notre volonté, par des forces de l'inconscient, monde irrationnel. Ces forces nous parlent dans les rêves, dans les symboles, et dans cette partie de nos actes qui nous est incompréhensible. On ne peut racheter ces passions que par la
compréhension intuitive, province féminine. C'est seulement après une telle compréhension que l'intelligence et la volonté peuvent être véritablement efficaces, car sinon elles sont aveugles et impuissantes contre les vagues de l'émotion.

Femme, écarte les armes sans valeur. Met de côté les malices et les poisons, la frigidité et la puérilité. Tire l'épée à double tranchant de la liberté et appelle un homme à t'affronter dans un combat loyal, un homme apte à être ton mari et un père pour votre couvée d'aigles. Invoque-le, juge le par l'épée et il t'aura méritée. Tous les deux vous serez les archétypes de la race neuve.

Quelque part dans le monde aujourd'hui il y a une femme pour qui l'épée fut forgée. Quelque part une femme a entendu les trompettes de l'ère nouvelle et qui y répondra. Elle répondra, cette femme nouvelle, à la haute clameur des trompettes, elle viendra comme une flamme périlleuse et un chant détourné, une voix dans les couloirs des jugements une bannière au devant des armées. Elle viendra sanglée de l'épée de Liberté. Devant elle trembleront prêtres et rois, devant elle les cités et les empires s'écrouleront, et elle sera appelée BABALON, la Femme Écarlate. Elle sera emplie de désir et d'orgueil, subtile et d'un tranchant mortel et invincible telle une lame nue. Les femmes lui répondront avec des cris de guerre, jetant à leurs pieds leurs chaînes, la réponse des hommes sera de relever le défi en renonçant à leurs manières insensées. Elle brillera comme la rougeoyante étoile du Soir dans le crépuscule criard de Gotterdammerung. À nouveau elle brillera comme l'étoile du Matin lorsque la nuit sera passée et qu'une nouvelle aube se révèle sur les jardins de Pan.
À toi, femme inconnue , l'épée de liberté est promise.

Saturday, July 16, 2011

Hakim Bey - L'Obélisque

1. Dans la merde (en français dans le texte)


Aucune idéation systématique ne paraît à même de pouvoir mesurer l'univers - une carte à échelle 1 du monde subjectif est réalisable dans des états non-idéationnels. Rien ne peut se poser comme principe - Et pourtant elle tourne. Une chose parvient à la cognition, et la conscience tente de lui donner une structure. C'est alors cette structure qui va être considérée comme les fondations du réel, s'appliquant comme une mappa mundi - en tant que langage dans un premier temps, puis en tant qu'idéologie inhérente au langage. Ces complexes idéologie-langage ont tendance à devenir des orthodoxies. Par exemple, depuis les Lumières, il semble incontestable que seul un unique mode de conscience ne peut avoir de réalité pleine et entière : on pourrait l'appeler la conscience "falsificatrice", c'est celle qui vérifie la science, qui la valide. Avant les Lumières c'était d'autres orthodoxies qui prévalaient, en accordant de la valeur à d'autres modes de cognition ou de conscience. On pourrait rassembler ces précédentes orthodoxies dans la rubrique "Dieu et la Nature", en les associant, peut-être, au paléolithique et au néolithique respectivement. Bien que ces conceptions du monde conservent un certain nombre d'adhérents, elles ont été pour ainsi dire archéologiquement submergées par la "Raison universelle". Les Lumières coïncident avec la première avancée majeure dans ce qui est l'instrumentalité scientifique et la "conquête de la nature"; Dieu survit à l'assaut durant un siècle encore mais succombe pour finir aux alentours de 1899 (à la suite d'une scène d'agonie dont la durée relève positivement de la scène d'opéra). La nature est silencieuse; Dieu est mort. L'idéologie est rationnelle ou scientifique; les âges sombres sont une époque révolue. Si l'on peut dire que le dix-huitième siècle nous a amenés à trahir la nature, que le dix-neuvième nous a amenés à trahir Dieu, alors le vingtième siècle a certainement produit la trahison de l'idéologie ( par l'idéologie). Le rationalisme des Lumières ainsi que son rival, et rejeton, le Matérialisme Dialectique, ont expiré, sont montés au ciel et nous ont laissés 'dans la merde' (tel que l'a dit Gurdjieff, mourant, à ses disciples) bloqués dans la perspective d'un monde matériel réduit à l'abstraction cruelle de l'échange et dédiée à son propre effacement, sa propre disparition.


Le fait est que n'importe quelle carte peut convenir à n'importe quel territoire quel qu'il soit... si elle est pourvue de suffisamment de violence. Chacune des idéologies est complice de toute les autres, s'il lui est laissé assez de temps (et assez de marge. Ces complexes ne sont que des marchandises immobilières irréelles, propriétés vouées à être dépouillées de toute qualité, vampirisées pour l'imagerie, entretenues pour maintenir les délimitations actuelles, manipulées à des vues de profit - mais pas prises aux sérieux par les adultes. Pour les espèces adultes il ne reste plus rien que la cellule atomisée de l'échange, et les consolations improbables de l'avidité et du pouvoir.


2. Hermès Revividus



Mais il s'avère qu'il existe d'autres consciences, et peut-être d'autres types de cognition qui restent non impliquées dans la conscience au sens ordinaire. Mises à part toutes les définitions religieuses ou scientifiques de ces autres formes, elles persistent à se manifester, et présentent donc un potentiel intérêt. Sans les idéologiser, sommes-nous en mesure de dire quoi que ce soit à leur sujet? Le langage est traditionnellement jugé inefficace dans cette perspective. Mais la theoria, au sens originel de 'vision' ou discernement, possède une nature errante et brusque, semblable à la poésie. Dans de tels termes pourrions-nous parler d'un genre de critique hermétique sur le modèle de la 'méthode paranoïaque-critique' de Dali), capable de faire face à ces autres formes, même d'une manière oblique en ne faisant qu'apercevoir brièvement ces choses?


C'est Hermès qui opère la jonction entre le méta-linguistique et le sub-linguistique dans la forme du message, le langage lui-même, le médium; le tremendum (objet d'effroi expression religieuse mysterium tremendum NdT) qui retentit de par le verbe brisé. Hermès est, pour cette raison, politique, ou aurait peut-être une dimension d'ambassadeur - patron de l'intelligence et de la cryptographie aussi bien que de l'alchimie qui ne recherche que l'incarnation du réel. Hermès se situe entre le texte et l'image, maître des hiéroglyphes qui sont simultanément l'une et l'autre. Hermès est leur signifiance, leur traduisibilité. Tout comme allant et venant "en haut et en bas" entre les humains et les esprits, Hermès psychopompe est la conscience chamanique, médium de l'expérience directe, et l'interface entre ces formes autres et ce qui tient du politique. "Hermétique" peut également signifier "non-vu".


Ioan Couliano a dans une phase avancée de son travail fait remarquer que l'Hermétisme de la Renaissance proposait, comme définition possible de la magie, l'influence "à distance" de complexes images-textes sur la cognition consciente et inconsciente des sujets. Dans un sens positif ces techniques sont destinées à la "divinisation " du mage et à la création matérielle elle-même, l'alchimie est ainsi vue comme une libération de la conscience' et tout aussi bien de la matière) libération des formes les plus lourdes et les plus négatives, ainsi que sa réalisation en tant qu'auto illumination. Mais Blake - lui-même grand auteur hermétique - a souligné que tout a "sa forme et son spectre", son apparence positive et négative. Si nous regardons la "forme" positive de l'hermétisme nous le voyons comme une libration et conséquemment comme politiquement radical (comme chez Blake, par exemple); si nous considérons son "spectre" pourtant nous voyons que les mages de la renaissance était les premiers espions modernes et les ancêtres directs des spin doctors, des communicants, des publicistes et agents du lavage de cerveau. La "critique hermétique" telle que je la conçois impliquerait une tentative de distinguer et de définir différents aspects formels et spectraux de la théorie de la communication et de ses applications modernes; mais un ce royaume est toujours embroussaillé et il est rare que des séparation évidentes puissent y être défendues. Disons simplement que nous recherchons des parcelles au soleil


3. Critique de l'Image


La critique de l'Image est en même temps une défense de l'Imagination.

Si l'hermétisme spectral de la totalité consiste en la totalité de son imagerie, alors il est clair qu'il faut prendre la parole pour défendre l'iconoclasme, et pour la résistance de l'écran (l'interface médiatique). La perfection de l'échange se présente comme un imaginaire universel, comme complexe d'images (et complexes textes/images) disposés dans la reproduction, l'éducation, le travail, les loisirs, la publicité, l'info, la médecine, la mort, etc.. au sein d'un consensus apparent ou "totalité". Le non-médiatisé est le non-imaginé - même s'il s'agit, dans notre discussion, de la vie en elle-même, nous ne sommes pas parvenus à l'imaginer ou à l'évaluer. Ce qui est présent et demeure non représenté reste aussi pour nous quasiment irréel, d'autant plus si nous avons déjà capitulé face au consensus. Et puisque la conscience joue ici en fait un rôle relativement infime, tous nous capitulons au moins la plupart du temps, soit parce trop de réalité nous est insoutenable, soit parce que nous avons décidé d'y penser plus tard, ou bien parce que nous craignons d'être fous, etc.


L'Iconoclasme byzantin et (plus tard) l'Islam ont tenté de dépasser le dilemme hermétique de par la "prohibition" de l'image. Dans une certaine mesure ce dernier a réussi, de sorte que même son art représentatif a délibérément refusé la perspective et l'illusion dimensionnelle; en outre, d'une manière probablement remarquée par Benjamin, le tableau n'est peint seul mais il est "aliéné" par le texte, qui en y rentrant l'aplatit encore plus. Les arts "nobles" sont l'architecture comme arrangement d'espace organique, et la calligraphie comme arrangement de temps organique, de plus le verbe est pour l'Islam idéologique - non seulement il représente le logos, mais il le présente aussi en tant que linéarité, comme des séquences reliées entres elles de moments de signifiance. L'Islam est "fondé sur le texte" mais s'il refuse l'Image ce n'est pas seulement pour exalter le texte. Il y a deux 'Quorans" en Islam, et le second est généralement interprété comme entier avec la Nature en soi comme une sorte de sémiotique non-verbale " repère sur l'horizon". D'où le géomorphisme dans l'architecture, et son interaction avec l'eau, la verdure, le paysage et l'horizon - mais aussi son interpénétration idéelle par le texte calligraphié.


Ceci dit il est admis que ce complexe idéationnel ou religieux peut préjuger lui même de son poids et de son intense rigidité. Son organicité véritablement lumineuse trouve peut-être son expression la plus parfaite dans des formes anciennes et non officielles telles que les caravanserails pourvus de dômes dans l'Asie Centrale ou les mosquées construites avec de la boue, plutôt que dans la grandeur impériale des chefs-d'œuvre - ou les catastrophiques capitales modernes du royaume d'Islam. Mais partout où l'Image a été perdue et oubliée (ou du moins supplantée dans une certaine mesure par d'autres possibilités) il est possible de sentir une forme de légèreté ou soulagement du fardeau de l'image, ainsi qu'une certaine luminosité. Même dans la Lybie moderne, qui a interdit toute forme de publicité commerciale (et n'autorise de signes qu'uniquement en langue arabe), l'on peut éprouver au moins un moment de l'utopie de l'absence d'image, l'image publique, les hiéroglyphes de l'échange, l'iconolâtrie de la représentation. Il est possible de rejeter l'autoritarisme qui est celui de l'interdiction de l'imagerie sans nécessairement rejeter son intentionnalité. Nous pourrions l'interpréter d'une façon soufie - que d'une auto-restriction vis-à-vis de l'imagerie et de la représentation (une sublimation de l'image) peut résulter une flux d'imagination autonome ("divinisée) Cela pourrait être aussi envisagé en tant que suppression-réalisation, entendu dans un sens dialectique. L'objectif d'un tel exercice, dans une perspective soufie serait de canaliser l'"énergie créatrice" dans le but de réaliser un discernement spirituel - pour prendre un exemple, la lecture de textes qui relèvent d'un processus d'inspiration ou de révélation n'est pas uniquement une lecture, mais un processus de re-création dans la conscience imaginale. Il apparaît clairement que cet aspect d'expérience directe du travail imaginal soulève possiblement la question de la relation individuelle de chacun à l'orthodoxie et à l'autorité spirituelle médiatisée. Dans certains cas il ne s'agit pas uniquement d'une re-création mais bien d'une création de valeurs. Les valeurs sont imaginées. Il apparaît la possibilité que l'orthodoxie puisse opérer sa propre déconstruction, que l'idéologie puisse être venir à bout d'elle-même de l'intérieur. D'où l'ambiguïté de la relation dans le monde islamique entre les mystiques et les autorités.

La critique de l'image par le soufisme peut être sécularisée jusqu'à ce qu'elle puisse s'agglomérer à notre concept de critique herméneutique (Certains soufis étaient eux-mêmes hermétistes et acceptaient même l'existence d'Hermès Trismégiste en tant que "prophète) En d'autres termes, nous ne nous opposons pas à l'image dans une perspective théologique (comme c'est le cas des iconoclastes, mais parce que nous exigeons une libération de l'imagination en elle-même, et non l'imaginaire médiatisé par le marché.

Bien sûr, cette critique de l'image pourrait tout aussi bien être appliquée en portant sur le mot - sur le livre - sur le langage lui-même. Et bien sûr il serait nécessaire qu'elle le soit. Remettre en cause un médium n'en est pas pour autant le détruire, au nom de quelque orthodoxie ou quelque hérésie que ce soit. Ce n'était pas simplement lire les hiéroglyphes qui importait au mages de la Renaissance, c'était aussi pouvoir les écrire. Les hiéroglyphes étaient perçus comme une sorte de sémiotique projective ou une performance textuelle imaginale, produites afin de provoquer un changement dans le monde. Le fait est que plutôt que de nous laisser imaginer, nous nous imaginons nous-mêmes; il faut que nous nous écrivions nous-mêmes - pour ne pas nous laisser être écrit.





4. L'Obélisque que l'on ne voit pas


Si l'oppression émane du pouvoir de ce qui est perçu, la logique devrait obligatoirement nous amener à explorer la possibilité que la résistance puisse s'allier avec le pouvoir de ce qui n'est pas vu. Ce qui n'est pas vu n'est pas forcément l'invisible, ou ce qui a disparu. Il peut être perçu, il arrive qu'il le soit; il ne l'est pas encore - ou peut-être est-il délibérément occulté. Il se réserve le droit de réapparaître, ou d'échapper à la représentation. Cette ambiguïté hermétique donne forme à son mouvement tactique, pour utiliser une métaphore militaire, il pratique les techniques de guérilla d'une guerre "primitive" plutôt que "classique", refusant la confrontation à armes inégales, se mêlant à la résistance globale des l'exclus, occupant les failles dans le monolithe stratégique du contrôle, refusant le monopole de la violence sur le pouvoir etc.( ici la "violence" désigne aussi la violence du concept et de l'image. Son effet est d'opposer la stratégie (idéologie) avec la tactique qui ne peut être stratégiquement contrainte ou idéologiquement fixée. On pourrait dire que la conscience "seule" n'y joue pas un rôle aussi majeur que pour certains autres facteurs( "La liberté est une aptitude psychokinétique").


Par exemple, il existe un aspect de ce qui n'est pas vu dimension n'impliquant aucun effort, mais qui consiste simplement en l'expérience de lieux qui restent inconnus, de temps non marqués. Le terme japonais d'esthétique wabi désigne le pouvoir de tels lieux ou objets - il signifie 'pauvre'. On l'utilise par exemple pour désigner certaines tasses à thé apparaissant comme imparfaites (irrégulières, approximativement cuites, etc) mais qui de par une appréciation plus sensible sont vues comme possédant une expressivité formidable de "ce qui est tel" - une élégance qui approche le silence conceptuel - quelque chose d'une mélancolie du transitoire, de l'anonymat, point à partir duquel la pauvreté ne peut plus se distinguer de l'esthétique la plus raffinée, une quintessence du yin taoïste, le "pouvoir mystérieux" des flux de l'eau ou de l'espace vide. Certaines de ces tasses de thé vendent pour des millions. La plupart sont faites par des artisans étant parvenus au stade de wabi, mais l'on pourrait dire que les plus prisées de toutes seraient certainement celle réalisés dans conscience de soi ou même sans conscience, par d'authentique artisans dans le dénuement. Cette manie du naturel et du spontané trouve aussi son expression dans l'attrait pour les roches bizarres qui stimulent l'imagination avec des circonvolutions des extrusions, et d'étranges déséquilibres. Les jardiniers zen préfèrent les rochers qui évoquent les îles ou les montagnes, effaçant toute autre image, ou mieux encore les rochers qui n'évoquent rien de connu- une forme non-idéationnelle - la pauvreté parfaite.

Aussitôt qu'une chose est représentée elle devient l'image de d'elle-même, sémiotiquement plus riche mais existentiellement appauvrie, aliénée, extraite d'elle-même et exténuée - comme potentielle marchandise. Le wabi des tasses à thé se voit sérieusement compromis par l'investissement élevé auquel elles obligent. Pour que cela soit efficace (pour produire le 'satori') il faut que l'expérience de l'objet soit faite directement, et non médiatisée par l'échange. L'unique exception - exception spontanée de cette inattention générale c'est... nous-mêmes! - car c'est pour nous-mêmes que nous avons imaginé la valeur du wabi pour ces temps, ces lieux, ces objets. Peut-être sont-ils à même de figurer dans les "petits plaisirs" dont Nietzsche dit qu'ils ont plus d'importance que les grands. Dans certains cas l'aspect mélancolique de ces choses est exacerbé par le fait de se rendre compte que le temps lui-même a surmonté la laideur pour la transformer en beauté à peine perceptible. Certaines des rues de Dublin Nord capturent parfaitement cette qualité, tout comme certains sites industriels à l'abandon du New Jersey où la matière organique (la rouille, l'eau, les mauvaises herbes) a sculpté l'ancienne machinerie jusqu'à en faire une pure forme et un pur paysage tout en spontanéité. Cette mélancolie (tenue par les anciens hermétistes pour être un signe ou un trait de créativité) approche un autre terme d'esthétique, le mot persan dard - signifiant 'douleur' a sens littéral, mais s'appliquant dans des termes plus subtils à l'art ou à l'expression directe de certains musiciens (en particulier pour les chanteurs), au sens d'un désir transparent et entier pour l'être transcendant ou l'être aimé absents. La fable perse enseigne que la douleur de l'amour rejeté transforme un moineau ordinaire en rossignol. L'amant tout comme le derviche est pauvre, car le désir est cela qui reste insatisfait - mais il émerge à partir de ce dénuement une esthétique de la profusion, un débordement, une générosité ou même un douloureux excès de sens - derrière l'apparence de la mélancolie et du dépit.


Mise à part l'inadvertance des choses non vues, il existe également une forme plus active, pour ainsi dire - la forme de ce qui reste délibérément non perçu. Elle s'inscrit dans la sphère d'où émerge la conscience de la vie quotidienne, la conscience de soi, et son intention stratégique d'accroître les plaisirs non médiatisés qui sont les siens et l'autonomie de sa liberté vis-à-vis de la représentation. Ainsi les conditions sont-elles maximisées en vue de l'émergence éventuelle du "merveilleux dans la sphère de l'expérience vécue". Cette situation ressemble à celle de l'artiste - mais l'"art" ne pénètre cet espace qu'à la condition de refuser de médiatiser pour nous l'expérience et au lieu de ça il la "facilite". Un exemple en serait une aventure amoureuse fondée sur l'érotisme n'apparaissant pas dans la médiation, pour lesquelles on ne construit aucun rôle, on ne produit aucune marchandises. Un autre exemple serait un festival organisé spontanément, ou une zone d'autonomie temporaire, ou encore une société secrète; ici, l'"art" gagnerait à nouveau son utilité.

Les mages de la Renaissance avaient compris que l'obélisque de l'ancienne Égypte était une forme hermétique parfaite pour la dissémination de leur sémiotique hiéroglyphique projective. De haut en bas il représente (mathématiquement) un rayon de soleil, de bas en haut, un linguam. Il retransmet et irradie de ses complexes texte/image et ainsi à la fois vers la lumière qui se trouve au dessus de la conscience elle-même, et vers l'inconscient représenté par la sexualité. Des livres d'emblèmes, tels que le Grand Hypnerotomachia de 1499, nous apprenons que l'objectif hermétique de tels monuments serait d'invoquer dans l'existence l'utopie du désir et le bonheur de l'union alchimique. Mais les mages n'ont jamais perfectionné leur déchiffrement des hiéroglyphes et leur utopie reste au sein des paysages hermétiques des emblèmes. L'idée d'un pouvoir de ces obélisques, cependant, s'est enracinée dans la conscience et l'inconscient occidentaux, des appropriations napoléoniennes et britanniques jusqu'à l'implication maçonnique dans le monument de Washington.


En contraste avec l'obélisque étatique, il serait possible d'imaginer une obélisque authentiquement hermétique gravée d'écriture magique concernant l'expérience des états de conscience non ordinaire; son efficacité consisterait à être quasiment impossible à voir, elle pourrait par exemple, se trouver dans une terre sauvage reculée - ou à l'abandon au milieu de sites industriels délabrés. Il se pourrait même qu'elle soit enterrée. Il s'agirait d'une obélisque "pauvre". Les rumeurs circuleraient à son propos. Ceux qui l'ont vraiment trouvé serait peut-être profondément émus par ses distances et son mystère. L'obélisque elle-même pourrait s'être évanouie, et avoir été remplacée par un rayon de soleil plein de poussière. Mais l'histoire de cette obélisque devrait conserver de son pouvoir.



5. La Machine Organique


Mais à quoi sert la révolte? Simplement soulager le ressentiment ultime du l'éternellement déçu et remis à plus tard? Ne pourrions nous pas simplement cesser cette agitation et poursuivre cette tasse à thé ou rayon de soleil, si nous ne pouvons pas nous satisfaire de l'extase de la totalité? Pourquoi notre critique hermétique devrait-elle nous amener à l'affirmation d'une présence dialectique qui concerne les échanges, l'aliénation, la séparation? Si nous prétendons "créer des valeurs" alors nous devrions-nous nous préparer à les formuler, quel que soit le point où nous rejetons l'"idéologie"? Après tout, le pancapitalisme rejette l'idéologie et a même proclamé la fin de la dialectique - nos valeurs doivent-elles pour autant être subsumées quelque part? dans le capital? Et si tel est le cas, alors - pourquoi lutter?


Une réponse possible à cette question pourrait se faire sur la base d'un "se révolter pour se révolter" de type existentialiste, dans la tradition de Camus ou des anarchistes stirneriens. Nous serions mal avisés de mépriser cette réponse - mais peut-être serait-il possible de la développer dans des termes plus positifs (en termes de "forme", non de spectre".


Par exemple, on pourrait dire que l'économie du don à l'époque paléolithique perdure, en même temps que l'"expérience directe" en tant que spiritualité chamanique, et la non séparation de la "société contre l'état""(Pierre Clastres), sous la forme de ces juridictions et coutumes dont traitait Thompson, transparaissant dans les mythes et le folklore, et s'exprimant dans les forces de résistance, d'hérésie festives et populaires à travers l'histoire. Je vous renvoie au Rabelais de Bakhtine au Word Turned Upside Down de Christopher Hill et à Le mouvement du libre-esprit, de Raoul Vaneigem. En d'autres termes : une tradition de résistance a perduré de façon ininterrompue et ce depuis le Néolithique, avant l'émergence des premiers états, et même de nos jours. Ainsi: nous résistons, et nous révoltons car c'est notre glorieux héritage d'agir de telle sorte - c'est notre "conservatisme". Ce mouvement de résistance est devenu de plus en plus moche et poussiéreux depuis son apparition il y a 12000 ans en réponse aux premières "idéologies" (l'agriculture, le calendrier, l'appropriation du travail)- mais elle perdure encore pars qu'elle définit toujours une majorité de "liberté empiriques", dont la plupart des gens veulent bénéficier : absence d'oppression, paix, abondance, autonomie, convivialité ou communauté, pas de riches ni de pauvres, l'expression spirituelle et le plaisir du corps, etc. Il est peut-être impossible de construire un système ou une idéologie, une stratégie sur des désirs si inclassables - mais il est tout aussi impossible de les réfuter avec des idéologies, précisément en raison de leur nature empirique et "tactique". Et peut importe, ils perdurent - même s'ils restent imperceptible pour tous les objectifs pratiques, ils refusent pourtant de partir. Lorsque toutes les idées nous ont trahis, la "machine organique" (Société vs État) refuse même de se définir elle-même en tant qu'idée. Elle reste loyale à notre imprécision immémoriale, à notre silence et à notre pauvreté.

Le Capital poursuit son télos au delà de l'humain. La science nous a déjà trahis - peut-être que la prochaine trahison - ou la dernière de toutes - sera celle de l'humain lui-même, et du monde matériel dans son intégralité. Deux exemples seulement seront ici nécessaires pour éclairer cette affirmation (plutôt que de la prouver). Le premier exemple concerne l'argent, qui ces cinq ou six dernières années a transcendé son lien à la production jusqu'au degré critique où 94,2 pour cent de la "réserve d'argent " mondiale consiste à présent en un capital exclusivement financier. J'ai appelé cela le transfert dans l'espace virtuel du corps économique, en l'honneur des anciens Dualistes gnostiques et de leur haine de tout ce qui est matériel. Ce qui, pratiquement, en ressort, c'est la stupéfaction concernant toute considération de justice économique comme préoccupation "empirique", puisque la nature migratoire ou nomade du pancapitalisme autorise le "capital désincarné" à dépouiller l'économie de ses atouts principaux et ce au nom de profits ne pouvant être mesurés que par des moyens purement "spirituels". En outre, ce capital est devenu son propre véhicule, et tente à présent de définir un discours universel dans lequel les alternative au système marchand s'évanouissent purement et simplement comme si elles n'avaient jamais existé et ne pouvait pas exister. Ainsi toute relation humaine est susceptible de se mesurer avec du fric.


Pour illustrer le capital en tant que son médium même, et pour deuxième exemple, nous pouvons nous pencher sur la bio ingénierie. Il n'est aucune force qui peut empêcher le pancapitalisme d'acquérir des brevets pour chaque gène identifiable. Cela signifie qu'on demande aux agriculteurs de payer des "rentes sur certaines variétés de gènes développés par leur laboratoires, parce que les "droits" sur ces souches ont été acquis par les zaibatsus. Le triomphe douteux du clonage est censé compenser le ravage du peu qui reste de Nature, ravage qui n'est motivé que par le profit. De plus, le projet du déchiffrage du génome humain, qui a "résolu" le problème de la production de la vie en la posant comme machine biomécanique, permet à l'évolution elle-même d'être co-optée pour être absorbée par le Capital. Tel que le marché envisage l'avenir, l'humain lui-même deviendra de l'humanité l'ultime marchandise - et dans cette "valeur" l'humain disparaîtra. L'effacement du capital par lui-même implique l'effacement de l'humanité par elle-même. L'agir comme pure puissance spirituelle - l'argent- le Capital parviendra à avoir la propriété du devenir de la vie, et ainsi du pouvoir de donner forme au protoplasme même du monde matériel comme pur échange.

La question essentielle qui est la nôtre concerne la possibilité de réapparition, en tant qu'opposition, de ce que l'on ne voit pas. Pour finir il semblerait qu'un refus tactique de toute stratégie systématique serait peut-être inadéquat pour apporter cette réapparition que l'on désire. Ce qui est requis c'est une proposition positive pour équilibrer les actes de refus. Ce que nous devons espérer c'est l'émergence d'une stratégie organique de victoire en tant 'qu'ordonnancement spontané" des tactiques élaborées à la dérive. Toute tentative d'imposer "par le sommet" cette unité stratégique doit être exclue comme au mieux une nostalgie des utopies perdues de l'idéologie - ou comme une religion mauvaise d'un certain genre.

Mais tout comme l'image a son spectre et sa forme, nous pouvons ainsi jouer avec la notion que cette double manifestation de forme et de spectre est aussi le fait de l'idée. En tant que leurre, l'idée ne reste rien d'autre qu'un piège sémantique - déguisé par exemple en impératif moral. Mais en tant que forme au sens de Blake, l'idée elle-même peut se confronter à l'organicité en tant que production du corps et du "l'intellect créatif", tout comme l'image pourrait être tournée vers la réalisation par le corps et "l'imagination créative". Il se peut qu'en un certain sens c'est l'idée que l'on a toujours pas vue jusqu'à présent, et qui retient ainsi tout son pouvoir, n'étant jamais tombée dans la représentation. Négligée tout du long- ne s'étant jamais vu estimer un prix - et restant peut-être inexprimable même dans sa manifestation - cette idée pourrait "donner un sens à la révolte". Et elle pourrait être écrite avec ambigüité en hiéroglyphes à la signification incertaine, mais dont l'effet "magique" est néanmoins puissant - elle pourrait même être écrite sur une obélisque cachée. Mais ce sera nous qui aurons écrit dessus.




6. Les réseaux platoniques




Il semble que c'est comme s'il pouvait exister deux sortes possibles de réseaux (ou même de technologies de la communication) - l'un aristotélicien, fondé sur le texte, linéaire - l'autre platonique, fondé sur l'image, non linéaire. Le langage par exemple, envisagé selon cette perspective, pourrait sembler plutôt platonique, puisque les mots se fondent sur une "image intérieure" et ainsi ne peuvent se réduire par pure lexicalité en traduction à solution unique. Alors que par contre un réseau d'ordinateurs, par l'utilisation d'une programmation reposant sur le texte, apparaîtrait comme un système aristotélicien parfait.


Mais ce dualisme clair se dissous dans le paradoxe et dans l'énigme. Le texte lui-même repose sur des images (il est ainsi non-linéaire) à Sumer, en Égypte, en Chine. Même notre alphabet repose sur des images : la lettre "p" par exemple, représente un pied à l'envers, car les mots de racine indo-européenne débutent presque toujours par "p" ou "f". Le texte, censé être linéaire, repose sur la langue et participe de sa non-linéarité. Lorsque les types discursifs sont textualisés ils deviennent en un certain sens plus linéaires (car il leur manque le relief conceptuel auparavant pourvu par les dimensions extérieures au discours tels que le ton, les geste, la performance etc.)- mais dans d'autres directions il résulte de cette dimension privative du langage, dans la production de texte, des ambiguïtés plus profondes, car le contexte du texte est en grande partie constitué par le lecteur et son monde intérieur.


Ainsi, le fait que les ordinateurs soient numériques (le numérique comme simple processus on/off à échelle massive) et basés sur le textes n'en fait pas pour autant des machines aristotéliciennes authentiques, puisque l'image est déjà enchassée dans le langage, d'autant plus que l'écran lui-même est aussi déjà une image, que ce qu'il visualise soit de l'image, du texte, ou bien les deux à la fois. Si la programmation pouvait reposer directement sur des images plutôt que sur du texte - comme certains chercheurs pensent que, et que leur déploiement pouvait non seulement c'est possible - l'ordinateur pourrait facilement être une machine platonique. L'effet de platonicisation propre à l'informatique est déjà là non seulement dans l'affichage des images sur des écrans mais aussi dans la réalité psychologique de l'écran en tant qu'image. Dans ce qu'il produit, l'ordinateur est une machine hiéroglyphique, un mode d'interface de texte et d'image; d'où le caractère magique de son apparition à l'inconscient.


Les mages de la Renaissance (et particulièrement Athanasius Kirchner) pensaient que la nature des hiéroglyphes égyptiens était purement platonique (- en ceci ils suivaient Plotin et Lamblichus)- ce qui signifie que chaque image était une forme idéelle et que leur déploiement pouvait non seulement être une indication du sens, mais qu'il était aussi capable de le créer et de le projeter. Ainsi les hiéroglyphes étaient-ils considérés comme un amalgame idéel de texte et d'image - une forme d'écriture par des emblèmes. Mais lorsque Champollion déchiffra la pierre de Rosette, l'on découvrit que les hiéroglyphes étaient déjà utilisés sur un mode quasi alphabétique (sur le modèle qui associe le phonème "p" à l'image du pied), bien qu'il y eût certains cas ou certains images ou certains cartouches représentaient les objets peints en tant que mots. Cette découverte relégua aux oubliettes les tentatives infructueuses de traductions par les mages de la Renaissance - Leur théories ne sont plus mentionnées qu'en passant, comme exemples de science hermétique "fausse" et de mauvaise égyptologie. Mais comme le remarquait Couliano, ces théories discréditées possèdent une grand pouvoir secret d'ordre heuristique, car elles décrivent empiriquement certaines des voies par lesquelles le texte, l'image et l'esprit interagissent. Une fois la magie brute et la métaphysique platonicienne discréditées, la théorie hiéroglyphique peut être utilisée pour comprendre le monde.


Les livres d'emblèmes à la Renaissance étaient des expériences de projection sémiotique de la théorie hiéroglyphique. Les images allégoriques accompagnées de textes ( souvent un texte en prose et un texte poétique) et dans certains cas même par de la musique ( par exemple la grande Atalanta fugiens de Michael Maier) étaient collectés par séquences, publiés sous forme de livres, et se destinaient à l'élévation magique du lecteur. La "morale" des emblèmes était ainsi véhiculée sur différents niveaux à la fois. Chaque emblème était simultanément
- une image accompagnée de mots
- une image "traduite" à partir de mots. Ce qui veut dire que les valeurs réelles ne sont pas purement formelle mais son aussi allégoriques, ce qui fait qu'Hercule désigne la "force", Cupidon désigne le "désir", et l'emblème lui-même peut être lu comme une phrase constituée par ces "mots"
- un "code" hiéroglyphique dans lequel certaines images non seulement représentent des mots mais aussi "expriment la phrase" de ces mots, les projette d'une manière magique, que le lecteur soit conscient ou non de ce phénomène.


Notre hypothèse de travail c'est que l'image du monde pour lui-même définit non seulement ses possibilités mais aussi ses limites. La représentation du monde de lui-même à lui-même (son image macrocosmique)ce n'est ni plus ni moins que son image "microcosmique" de lui-même ordonnancement pour ainsi dire, au niveau des mentalités et de l'imaginaire. Ceci fait partie de notre théorie hermétique "sécularisée", ce qui explique, par exemple, pourquoi les emblèmes ont une influence sur de multiples niveaux de cognition


Les mages radicaux ont rencontré un monde où une image du monde était fixée sur place - non pas simplement le cosmos géocentrique, mais le système de valeurs chrétien orthodoxe dans son ensemble qui allait avec. Leur intention subversive tournait autour du projet d'une libre circulation de l'imagerie, une rupture de la stase et une création d'un modèle plus responsable. L'unique point de vue de l'orthodoxie était ressenti comme étouffant, tyrannique, oppressant. Attendu que le soi intériorise ces visions il le reproduisait au niveau du subjectif. Les hermétistes opposaient à l'unicité même de cette vision du monde une multiplicité contradictoire, une forme critique de paganisme fondée sur la différence.


De manière analogue, depuis 1989-91 nous somme entrés dans un nouvel "âge sombre" dans lequel une seul vision du monde( et son imaginaire) réclame l'hégémonie sur toute différence. Non seulement le pancapitalisme est-il un système mondial, mais il est aussi devenu son propre véhicule, pour ainsi dire, en ce qu'il propose une stase universelle de l'imagerie. la libre circulation de l'image est bloquée lorsque une image du monde structure l'image que le monde a de lui-même. La différence vraie est lessivée jusqu'à disparaître et elle est remplacée par un re-cyclage obsessionnel et passée au filtre de l'imagerie "permise" au sein du système unique du discours (comme les théologiens du Moyen Age censés disputer autour sexe des anges au même moment où les Turcs assiégeaient Byzance. Le pancapitalisme "permet" toute imagerie susceptible d'accroître le profit - d'où le fait qu'il devrait en théorie permettre
tout genre d'imagerie - mais en pratique, cela lui est impossible. C'est la crise propre au "postmodernisme" - la crise comme une forme de stase, de l"infini re-circulation du même - l'impossibilité de la différence.


Dans la crise de la stase toute manière d'imager peut être autorisée ou même encouragée lorsque elle tend à décrire la relation comme un échange - et même l'imagerie de la terreur, du meurtre, du crime - et même celle de l'extinction de l'humain et celle de la Nature - car tout ceci (du moins de par l'imagerie) peut se transformer un profit. Ce qui ne peut être autorisé (sauf peut-être la nostalgie) c'est l'imagerie des relations qui ne sont pas celles de l'échange. La nostalgie peut-être circonscrite pour être mise sur le marché - mais la différence en tant quelle serait une menace à l'hégémonie de la pensée unique. L'"économie du don" pratiquée par certaines tribus primitives à présent quasiment disparues fait un parfait sujet télévisuel; le deuil qui est le nôtre concernant cette disparition ne peut que booster les ventes de n'importe quelle marchandise susceptible d'adoucir notre sentiment de perte. Le deuil lui-même peut se voir fétichisé, comme à l'époque victorienne, celle des chevaux empanachés dans les cimetières à la robe noir carbone ou onyx. La Mort pour le Capital c'est bien, car l'argent est la sexualité des morts. Les cadavres sont déjà apparus dans la publicité - et c'en étaient des "réels".


À supposer que notre hypothèse tient la route, nous pourrions bien nous demander "d'où" pourrait apparaître, dans une telle situation, une image de la vraie différence. La réponse est qu'à l'évidence elle ne pourrait provenir que d'en dehors de la stase.


Et à l'évidence, ça signifie la guerre. Du moins, la "Guerre de l'Image"


Mais comment nous est-il possible ne serait-ce que de commencer à définir ce qui pourrait résider "en dehors" de la stase? Ne sommes-nous pas justement engagés dans une situation où toutes les images en circulation commencent à représenter une partie de la crise de la circulation? Ceci est "l'hermétisme malin" de la médiation dans sa totalité - sa métastase spectrale, pour ainsi dire - l'ontologie comme oncologie. Tout ce qui entre dans la sphère du discours, tout ce qui est "visible" est subverti par le simple fait qu'il n'y a qu'un seul discours, un seul échange. Il est possible que la "Guerre de l'Image" soit tout aussi productive pour l'échange que d'autres formes de "guerre à l'état pur", puisqu'elle offrirait au minimum une "illusion de choix" Ceci représente donc la crise hermétique des médias tactiques.



7. Média tactiques



Ce qui n'est pas vu réside au moins possiblement à l'extérieur de l'espace de la totalité représentée. Ainsi devient-il pour les media tactiques l'objet d'un grand intérêt théorique. Mais comme les media les media tactiques doivent toujours médier, et ainsi ce qui n'est pas vu demeure "mystérieux" au sens plein du terme. Puisqu'on ne peut décrire que ce qui est visible, le pur imperceptible ne peut être représentés ou faire l'objet de discours écrits - même s'il peut être transmis, du moins en termes "zen".


Pourtant l'imperceptible n'est pas nécessairement "pur". S'il l'était, il nous intéresserait bien moins qu'il ne le fait à présent, car il ferait part en ceci d'une caractéristique associée à nos yeux à la stase et à l'idéologie. En fait ce qui n'est pas vu nous attire à cause de son impureté.


En effet il apparaît qu'il existe différents degrés d'imperceptible. L'imperceptible peut paradoxalement apparaître même dans les limites de la circularité fermée de la médiation dans sa totalité, que ce soit par inadvertance ou encore par subversion. Par exemple la TV montre des tribus primitives, et la mélancolie liée à la disparition du Don ne peut atteindre la véritable réalité du Don et le sens qu'il a pour ceux qui le connaissent. Mais parfois le texte parlé ou le montage du film pourra créer des puissantes dissonances cognitives avec certaines images, suggérant la présence de l'imperceptible, au moins pour un petit nombre de téléspectateurs préparés à de telles irruptions du mystérieux- dont la guérilla s'attaque aux zones consensuelles de la conscience.


De plus, les media plus "profonds" demeurent relativement invisible pour la totalité parce qu'ils "manquent tant de moyens". La mesquinerie par laquelle ceux-ci participent au marché économique, et dans une moindre mesure à l'esthétique consensuelle - les rend si insignifiant quel que soit l'objectif pratique posé. Bien sûr aussitôt que telle énergie, telle originalité est vue comme émanation de tels média ils sont en même temps absorbés par le Capital - et l'imperceptible est forcé de battre en retraite, de s'évader de la définition, de bouger autre part. Mais ce processus prend du temps, et le temps donne des occasions.


Ainsi les media tactiques pourraient-ils faire usage d'opération de "guérilla" au sein de la totalité médiatique, ou bien des média réfléchis qui restent (de façon impure) à l'extérieur de cette totalité. Mais dans tous les cas l'intégrité stratégique exigerait que de telles "apparitions" aient lieu là où elles peuvent être efficaces - au sens militaire : là où elles peuvent endommager la totalité sans se laisser absorber par le "spectacle de la dissidence" et de la rébellion autorisée. Les media tactiques battront en retraite de cette sorte en face de ce qui pourrait les englober, et dans de tels moments de retraits tactique il se pourrait que les médias stratégiques puissent avoir à s'engager dans la violence et le sacrifice ( du moins sur un plan conceptuel). Les médias tactiques feront des erreurs - d'autant plus qu'elles ont une nature improvisationnelle, et en l'absence d'une stratégie d'ensemble. Parce que les médias tactiques refusent la pureté, ils s'engageront - et se verront vaincus, le plus souvent par leurs propres "achèvements".


Le but et l'intention des médias tactiques n'est précisément pas de revivifier le consensus en lui permettant de se faire vampiriser ses énergies créatives par l'imaginaire des "morts-vivants" et de leur "lois naturelles" de l'échange. Mais nous ne pouvons pas dire pour autant que le but des media stratégiques "est" la destruction de la totalité. Cette affirmation d'identité définirait pour les media tactiques une idéologie ou l'origine d'une identité, et limiterait leur rôle d'opposition - en effet dans son apparence "spectrale" nous ne sommes plus du tout bienveillants vis-à-vis de la totalité, mais en nous définissant nous-mêmes (et de par nos techniques) uniquement dans la "destruction" nous ne faisons qu'inviter à notre propre récupération dans les schèmes de l'oppression. Les médias tactiques, selon moi, devraient avoir un sujet et un objectif. Ce devrait être cela qui n'est pas vu - même jusqu'à une séduction pour y parvenir.


Cela signifie-t-il que les tactiques des médias tactiques ne peuvent se définir que "d'une façon situationnelle"? Même si nous refusons toute idéologisation de l'intentionnalité, sommes-nous toujours en mesure d'avoir des propos descriptifs sur certains buts spécifiques? Si nous refusons la stratégie, sommes-nous en néanmoins capables d'énoncer avec précision une idée concernant une tendance ou un mouvement vers l'unification d'un imaginaire de la présence( possiblement un "mythe") qui sous-jacents aux médiations tactiques pourraient les informer?


Cela pourrait en effet être possible, ne serait-ce que parce que les valeurs imaginales dans le processus d'émergence dans les médias stratégiques semble concerner ces libertés empiriques exprimées non seulement dans les "droits et devoirs" immémoriaux mais aussi dans les politiques du désir les plus radicales. En d'autres termes, un substitut "organique" de la stratégie-idéologie survient à partir d'un imaginaire partagé qui se fonde sur de telles perspectives traditionnelles mais pourtant radicales. C'est en ce sens que les médias tactiques peuvent êtres vus comme un aspect d'une opposition à l'échange, efficace et possible, opposition à l'idéologie post-idéologique du Capital - une opposition qui ne peut être englobée, et qui de ce fait peut contempler la possibilité d'un succès.


Tout ceci n'est que pure hypothèse, et cela n'aurait alors aucun sens - et peut-être même serait-il contre-productif - de s'engager dans une tentative de prescrire ou prédire au sujet des médias tactiques; ou même de les influencer. Le mouvement historique envisagé ici ( qui relève même le défi de la 'Fin de l'histoire") ne peut rien tirer d'un avant-gardisme passé de mode ou de " législateur sans reconnaissance", un énième -isme d'une intelligentsia (et artistes et autres) en passe d'être discréditée. Il semble cependant possible d'adopter une approche "expérimentale". Qui est capable de prédire le succès ou l'échec? Une faiblesse narrative inhérente et un désir de travailler sur certaines formes de structures emblématiques m'a amené à une "errance sans but" ou la conceptualisation taoïste autour de certains thèmes considérés ici- et notablement la notion d'hermétisme à la fois dans son aspect "formel" et "spectral". Un exemple: puisque l'argent est "imaginal" il est alors susceptible de faire l'objet de manipulations hermétiques - et même jusque l'intuition, dont parlent certains milliardaires bizarres comme Georges Soros. Il semble théoriquement possible de "pirater" de l'argent sur le plan de sa représentativité - et encore plus à présent qu'il est presque entièrement pure représentation. L'argent peut être manipulé imagistiquement parce l'argent lui-même est image, et pourtant peut aussi se téléporter à partir de la numisphère cybergnostique se manifestant sur un plan terrestre en tant que production, biens et services, liquidités. Il apparaîtrait ainsi réalisable de rediriger le Capital sur un principe de richesse, loin des zones où le capitalisme a "décrété" sa présence (symbolique), dans des zones où sa présence (réelle) s'est vue "interdite".


Sur le fait de "décréter ou "interdire", si ces deux mots sont entre parenthèses c'est parce qu'en vérité la situation est si complexe que la "légalité" est devenue une catégorie extrêmement ambigüe. L'argent comme médium s'engouffre dans la même crise de définition que tous les autres media. Dans cet espace d'incertitude, les opération hermétiques pourraient être dirigées (par des moyens parfaitement légaux) de façon à interférer avec la circulation du Capital. L'espace d'incertitude - qui fissure dans le monolithe de la représentation - trouve son origine profonde dans une anxiété puissante qui est celle de la crise de la stase. L'image de l'imaginaire comme labyrinthe sans issue induit une sorte de claustrophobie similaire à celle dont les occultiste de la Renaissance ont pu faire l'expérience, en lien avec la stase cosmique de la doctrine : échapper à la panique. Nous sommes après tout encore "en transition" vers la perfection du marché mondial - le cosmos de l'économie ne trouve pas encore une délimitation d'ensemble qui soit sans failles.


D'où par exemple la soudaine obsession du "contenu". Qu'allons-nous faire de toutes ces données? Quel en est l'usage? Et qui devra créer pour que les autres - tous les autres - consomment? Mystère.


Certains éléments au sein des structures politiques conservent un certain sentimentalité morne au sujet de l'état "social"; ils veulent toujours pouvoir aider à programmer des "contenus". Ils s'opposent aux zaibatsus qui exigent du contenu "pur", se mesurant au prix plutôt qu'à la valeur. Mais que veulent "les gens"? Dans les espaces tactiques laissés vacants par ce combat de Titans décontenancés, certaines médiations sont possibles à effectuer. L'ancien pouvoir magique du scribe, l'initié hermétique, pourrait constituer une contre force au pouvoir magique de manipulation des contenus, le monopole de la signification et de l'interprétation réclamé par la totalité (qui tout d'un coup ne semble plus du tout aussi totale...).


Comme nous parlons des media, l'évocation du mot "magie" semble d'une certaine façon possible. Ces réflexions, de quelle pertinence pourraient-elles montrer dans les les situations rencontrées dans la réalité immédiate - c'est une autre histoire. C'est que cependant pour l'instant nous exerçons simplement notre imagination.









Emblèmes de l'Atalanta fugiens

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